L’actualité française actuelle en matière de
recrutement universitaire (un projet de loi de programmation qui fait l’unanimité
contre lui) me permet de revenir sur ce tweet posté au début du mois d’octobre 2019.
Il m’a étonné à plus d’un titre, me laissant perplexe un long moment, tant il me
semble méconnaître la réalité, tant son sens m’échappe dès l’énoncé même du problème.
Ce ne sont pas deux choix, mais une seule hésitation entre deux pis-aller qui
est proposé : l’emploi précaire à l’université ou un pseudo « emploi plus
stable » à l’extérieur.
Inutile de rappeler le nom de l’auteure, je ne
lui veux aucun mal (et la rencontrerais volontiers), ni du reste à l’ARES qui
diffusait cette information, fruit d’une réunion tenue le 3 octobre dernier.
Mais il est tout de même étrange de lire : « 2
choix s’offrent aux docteur·e·s : rester dans le monde universitaire dans des
conditions d’insécurité de l’emploi ou le quitter pour un emploi plus
stable ». La traditionnelle troisième voie de l’engagement définitif comme
scientifique ou académique n’existe-t-elle donc plus ? Elle est très, très
étroite, il est vrai, particulièrement en Belgique, mais cette affirmation
interroge profondément. L’engagement définitif semble être devenu un souvenir
archéologique.
Heureusement, une éminente collègue de
l’Université de Liège a relevé le caractère déconnecté de la réalité de ce
propos. Je la suis parfaitement lorsqu’elle demande des exemples et surtout des
chiffres, qui doivent porter sur le long terme. Par ailleurs, est-il pensable
de se résoudre à cette équation ? Un docteure[1] en Histoire
de l’Art et Archéologie, ou dans toute autre discipline suppose dix ou onze années d’études, au bout desquelles on le ballade encore en "post-doc" durant un, deux ou trois ans. Il aurait parcouru tout ce
chemin pour se retrouver dans une banque, l’industrie, la grande distribution,
ailleurs, où son doctorat effraiera la plupart de ses contacts ? La
société, donc le contribuable, peut-elle dépenser autant d’argent en formation pour disperser le
plus rapidement possible ses docteurs dans la nature réputée « plus
stable » ?
Cette communication est-elle le fruit d’une étude
prospective déconnectée de la réalité (il n’en manque pas dans tous les
domaines) ou trop résumée ? Les quelques réalités suivantes sont-elles méconnues
ou simplement oubliées ?
Les postes, même précaires,
n’existent pas en nombre suffisant pour permettre à tous les docteures de
poursuivre des recherches à l’Université, voire d’enseigner sous un statut bâtard
(il en existe pourtant quelques beaux exemples). Quant aux emplois « plus
stables » dans le privé, je suis aussi preneur de chiffres et d'adresses. J'ai croisé en
trente ans des dizaines de personnes que cela aurait intéressé. Il faut en
parler aux 25-30 ans post-postdocs ou aux 45+, liste d’aptitude et HDR en poche,
pour pouvoir concourir sur le « marché » français (où personne ne nous attends) ; ils ont des choses à dire.
Il ne faudrait pas non plus oublier
qu'un jeune chercheur ne le reste pas toute sa vie. Il/elle sort assez
rapidement de cette catégorie sur laquelle toutes les attentions se portent
depuis quelques années. Et à cet instant : c'est le désert ou presque,
d'autant plus que tous les départs à la retraite ne sont pas remplacés. La
certitude d’une profusion d’emplois, consécutive aux départs des « baby
boomers », nous avait pourtant été répétée de nombreuses fois dans les
années 90.
Prenez simplement mon exemple. Je me
partage en trois depuis dix ans, sans être jamais parvenu à unifier mon
activité en un seul endroit. Et ne me dites pas que je cumule honteusement.
J'essaie simplement de parvenir à un ETP, sans même le salaire habituellement
associé à un temps-plein unique (je suis ouvert à toute proposition unifiante
stable, non bancale, je le précise car cela relève complètement du domaine du
rêve).
Que dire des collègues qui sont
professeurs toute leur vie à 2 %, 10 % ou même 50 % ? Comment font-ils de la
recherche de qualité, obligés de cumuler leur emploi universitaire avec un job
alimentaire ? Je passe sous silence les domaines qui ne sont plus
enseignés à l’Université faute de budget, ou pour lesquels on ne recrute plus
de spécialistes, et pas seulement en Histoire de l’Art. La Chimie, les
Ingénieurs, etc… sont logés à la même enseigne. On pourrait aussi parler des académiques payés à l'heure dont la disparition est quasi effective ou encore des
CORSCI (les scientifiques, non académiques). Mais bon, j'arrête là. L’essentiel
est dit. Il me reste un mémoire à lire sur mes genoux dans le RER. Un stade 4
métastasé qui me tombe dessus sans prévenir et qu'il faut bien essayer de
sauver, même sous-rémunéré par trois emplois aux statuts évanescents.
[1] Désolé pour l’absence de
ce point qui complique et fatigue la compréhension. Le lecteure comprend
évidemment que femmes et hommes sont concernés.
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