lundi 4 juillet 2016

L’Art Moderne a existé en Belgique ! En voici la preuve


Le Musée d'Art Moderne de Bruxelles (c) delirurbain.org


La question de son existence a en effet été posée en mars 2013 dans le numéro 4 de Museum Life (L’Art Moderne a-t-il jamais existé ?), magazine des Musées Royaux des Beaux-Arts, dans un éditorial rédigé par son directeur général. Elle a été maladroitement réaffirmée dans L'Echo du 30 novembre de la même année. 

Cette question anodine en apparence, provocatrice peut-être, est grave. Je m’en étais déjà étonné en mai 2013 sur ce blog. Grave, parce qu’un directeur général de musée et professeur d’Histoire de l’Art dans une grande université est capable de se la poser publiquement. Si nous n’étions pas depuis 2011, devant le fait accompli de la fermeture du Musée d’Art Moderne, sine die faut-il le rappeler, nous pourrions imaginer une joute intellectuelle qui pourrait être même intéressante. Mais elle est « grave » parce que depuis 2013 personne n’a réagi à cette énormité. Ni intellectuels, ni historiens de l’art, ni professionnels des musées, ni le public concerné, ni les médias, à l’exception des partisans du Musée d’art moderne de Bruxelles (MAM/Bru) et d’une gestion muséale ayant fait ses preuves partout ailleurs dans le monde.



Décidément, le belge a perdu sa capacité, connue depuis le Moyen Age, de manifester sa réprobation et de descendre dans la rue. Aime-t-il sa culture ? Les cours d’Histoire ont été tellement torturés, et l’Histoire de l’Art axée sur l’Impressionnisme, que le Belge ne doit plus en avoir qu’une idée très approximative. Tellement approximative qu’il ne se rend pas compte que ce sont ses racines qui ont été malmenées et que l’on tente ainsi de couper. Inutile de rappeler qu’un arbre sans racines, ne tarde pas à mourir, puis à tomber. Les africains l’exprime dans un beau proverbe : « la force du Baobab est dans ses racines ». Inutile de le rappeler ? Je fini par me poser la question.

Dans un cas pareil, il est bon, indispensable même de revenir aux sources indiscutables. Elles ne sont pas nombreuses et la meilleure, de notoriété publique a même disparu des rayons des libraires. Les contemporains de l’inauguration du Musée d’Art Moderne, se souviennent certainement de la publication en 1984 du catalogue de la peinture moderne publié à cette occasion. Tous les étudiants en Histoire de l’Art se souviennent de sa couverture jaune verte. Largement soldé, ce catalogue devait être remplacé par une nouvelle version, plus agréable, plus complète, etc… Je ne me souviens pas de l’avoir vue paraître. Certes une base de données, consultable sur internet se développe. Mais… Le catalogue est en devenir, comme le Musée fermé en 2011. C’est dire si les nouvelles générations d’étudiants devront l’attendre et finiront par croire que l’art exposé au MAM/Bru entre1984 et 2011 n’a en effet jamais existé.
R I P ?


Voici donc la preuve par 1984 : 3.463 œuvres attestent de l’existence de l’Art Moderne en Belgique. La fourchette chronologique retenue à l’époque se discuterait certainement aujourd’hui. Par ailleurs, certaines sont exposées dans les salles consacrées au XIXe siècle, dites « Musée fin de siècle ». Mais, cela ne retire pas grand-chose à cette brutale réalité : de très nombreuses œuvres ont disparu de la scène publique et attendent leur avenir dans des caisses peu propices à un long confinement ou sur des grilles de réserves.


La préface de ce catalogue, rédigée par Philippe Roberts-Jones, Conservateur en chef des Musées Royaux des Beaux-Arts de Belgique de l’époque, équivalent de l’actuel Directeur général, fait revivre cette collection et son histoire.
Que dire de plus et mieux en 2015, après 4 ans la fermeture de février 2011 ? Puissent cette préface et ce catalogue servir à la résurrection du Musée d’Art Moderne de Bruxelles, des Musées Royaux des Beaux-Arts de Belgique, des Musées Royaux d’Art et d’Histoire, du Musée Royal de l’Armée et puissent-ils également servir au maintien, au développement et au rayonnement international de l’Institut Royal du Patrimoine Artistique.
En voici les principaux extraits, qui permettent également de rendre hommage à nos prédécesseurs professionnels de l'Art Ancien et Moderne (expressions/concepts dont il faudra bien un jour débattre de la pertinence) :

Le présent ouvrage est le premier catalogue inventaire des peintures modernes des Musées royaux des Beaux-Arts de Belgique à Bruxelles. Il couvre la période allant de 1748, naissance de David et terminus ad quem de la peinture moderne, à nos jours. Ce catalogue mentionne les 3.463 œuvres d’une collection dont l’importance est grande, axée principalement sur l’art belge, mais comportant aussi des tableaux relevant des écoles étrangères.


Le dernier catalogue en date fut établi par Fierens-Gevaert et Arthur Laes en 1928, faisant suite au catalogue de la Peinture Ancienne de 1922. Cet excellent travail pour son époque n’avait été précédé que de publications fragmentaires ou sommaires : Edouard Fétis, en 1897, établit une liste des œuvres modernes, rééditée cinq fois jusqu’en 1908 ; en 1880 avait paru le catalogue de l’exposition de l’art belge, organisée pour le cinquantenaire de la Belgique au Palais des Beaux-Arts de Bruxelles (actuel Musée d’Art Ancien) et où figurèrent les œuvres de la collection du Musée ; avant cette date les œuvres modernes étaient insérées dans les catalogues communs aux collections d’art ancien.
La constitution des collections d’art moderne remonte à un dépôt de l’Etat au musée de la Ville de Bruxelles en 1834. Afin de ne pas manquer à la vérité historique, rappelons que Guillaume Ier, roi des Pays-Bas, avait déjà offert à la Ville 14 œuvres contemporaines en 1817, dont deux apparaissent dans le catalogue du musée de 1832. L’embryon de cette collection fut acquis par l’Etat belge en 1842 pour la somme de 44.000 Fr. en même temps que les collections d’art ancien, estimées, elles, à 1.600.000 Fr. et fondées officiellement par l’arrêté du 14 Fructidor an IX (1er septembre 1801) de Bonaparte, Premier Consul. L’ensemble, présenté alors dans les locaux de l’Ancienne Cour, derrière la façade du Palais de Charles de Lorraine, actuellement place du Musée, fut dénommé, par A. R. du 31 mars1846, Musée Royal de peinture et de sculpture de Belgique.

Vu l’accroissement des collections, les tableaux modernes furent, en 1862, déposés partiellement au Palais Ducal (aujourd’hui Palais des Académies) et au Temple des Augustins, situé sur le site de l’actuelle Place de Brouckère, pour revenir à leur lieu d’origine, l’Ancienne Cour agrandie, en 1877. Dix ans plus tard, le 26 mai 1887, les collections d’art ancien, ainsi que la sculpture ayant été transférés dans les locaux de la rue de la Régence, construits par Alphonse Balat, les œuvres modernes occupèrent, seules, l’espace, à l’exception de la grande travée centrale réservée aux expositions des cercles d’art et, entre autres, de 1887 à 1914, du Groupe des XX et de la Libre Esthétique.

Par la suite, trois autres dates doivent être retenues dans la vie de l’institution. Elles voient des modifications soit de structure, soit d’appellation : depuis 1919, une commission et un conservateur en chef en assument la direction, assistés par un personnel scientifique ; depuis 1927, l’institution s’intitule Musées royaux des Beaux-Arts de Belgique ; un arrêté royal de 1965 dote les Musées d’un statut d’établissement scientifique, composé de deux départements : art ancien et art moderne.

La fermeture du Musée d’Art Moderne, en 1959, et sa démolition rendue nécessaire par l’édification de la Bibliothèque Royale Albert Ier, accentuèrent, faut-il le dire, l’exiguïté des locaux. En 1962, fut entamée une campagne de construction et d’aménagement, menée à bien par le Ministère des Travaux Publics ; une première étape fut achevée, en 1974, par l’inauguration des extensions du Musées d’Art Ancien et du XIXe siècle ; la seconde, dix ans plus tard, voit l’ouverture du Musée d’Art Moderne et la rénovation du Musée d’Art Ancien. Cette importante réalisation, qui permet enfin de montrer au public l’ensemble des collections du XIVe siècle à nos jours, explique les délais mis à la publication de leur catalogue. Elle ne fut cependant pas une entrave au développement des collections. Celles-ci, tout au cours du XXe siècle, s’étaient accrues suite aux acquisitions régulières faites par l’Etat ou les Musées, mais aussi à des donations et legs, comme on peut le constater à travers les catalogues précités et, à partir de 1952, dans le Bulletin des Musées Royaux.

L’enrichissement des collections d’art moderne mérite quelques précisions. Dès le départ, le caractère essentiellement national des collections fut souligné. Un A. R. du 7 janvier 1835 envisageait déjà la création d’un « musée national exclusivement consacré aux productions les plus remarquables des peintres, sculpteurs, graveurs et architectes belges ». L’A. R. du 26 novembre 1845 créait une section affectée aux artistes belges modernes, divisée en deux catégories : l’une consacrée aux artistes défunts, l’autre aux vivants. En 1924 encore, lors de l’inauguration du Musée d’Art Moderne rénové, on y voit « l’histoire contemporaine de notre école de peinture ». Quant à leur rythme d’accroissement, les collections passent de 169 œuvres, mentionnées en 1880, à 321 en 1897 et 630 en 1908, pour atteindre 1188 œuvres (peintures, aquarelles, pastels et dessins) dans le dernier catalogue de 1928. Le présent inventaire compte 3463 œuvres, à savoir 2945 peintures et 518 œuvres assimilées, y compris les peintures du Musée Wiertz et du Musée Constantin Meunier (rattachés au musée respectivement en 1868 et 1971). L’accroissement est donc notable, et ne s’est plus limité strictement à l’art national. Il est fait d’une politique d’acquisitions volontaire, régulière et judicieuse, malgré la modicité des crédits, depuis Fierens-Gevaert jusqu’à nos jours, dictée par des commissions compétentes et des conservateurs éclairés. Il est la conséquence également de donations importantes, consenties par des mécènes et des artistes. A titre d’exemple, la salle Fierens-Gevaert qui à l’initiative de son successeur Léo van Puyvelde, réunit 27 œuvres, dont La musique russe d’Ensor, Soir de grève de Laermans, L’étranger de Permeke…, les dons de Fritz Toussaint (1906), Madame Bucheron-Gallait (1920), les legs Titeca-Van Eycken (1935), Tournay-Solvay (1957), Louis et Fernand Lazard (1958 et 1962), Madame Paul Maas (1965), Delporte-Livrauw (1973), le don Urvater (1975), le legs Madame Blanche Hess-Vandenbroeck (1978), les dons Armand Brusselmans (1980), Madame Madeleine Spilliaert (1984)…, sans oublier le mécénat de firmes belges dont la générosité nous a permis d’acquérir plusieurs œuvres lors de la vente organisée au profit du Village n° 1 Reine Fabiola (1983).

Au cours de ces dernières années, l’accent a été mis sur l’acquisition d’œuvres relevant de l’expressionnisme (Permeke, Van den Berghe, Campendonk…) et du surréalisme (Klee, Tanguy, Enrst, Magritte, Lam, Delvaux, Matta…), ainsi que des exemples des tendances contemporaines.

En ce qui concerne le présent volume, son élaboration est le fruit d’un contrôle systématique des œuvres, du dossier individuel de celles-ci, de l’inventaire général, des archives du musée, d’une étude rigoureuse des dépôts extérieurs qui a précédé le retour de la majorité de ceux-ci, des archives de l’art contemporain, de certains catalogues d’expositions temporaires réalisées entre 1962 et 1978 dans les locaux du musée provisoire, Place Royale, ainsi que du catalogue de l’exposition « 150 ans d’art belge », organisée en 1980.

Ce catalogue, publié parallèlement au catalogue inventaire des peintures anciennes, paraît à l’occasion de l’ouverture du nouveau Musée d’Art Moderne et du Musée d’Art Ancien rénové. Tous deux sont le point de départ d’une série complète qui comprendra la sculpture, les dessins et autres objets et seront la source, nous l’espérons, des catalogues scientifiques. L’initiative de cette entreprise est due à l’association des Amis des Musées et de son président le comte Boël, qui ont lancé, à cette fin, une campagne fructueuse de mécénat, objet de notre profonde reconnaissance.


Notre gratitude s’adresse à tous les responsables de cet ouvrage réalisé sous la direction de Madame Phil Mertens, chef de département, par Madame Gisèle Ollinger-Zinque, chef de section, qui en a assumé la coordination générale, en collaboration avec Mademoiselle Brita Velghe, collaborateur scientifique occasionnel et avec la contribution de Messieurs Pierre Baudson, chef de section, André A. Moerman, assistant, Jacques van Lennep, attaché, Madame Danielle Derrey-Capon et Mademoiselle Astrid Mattart, du Centre International pour l’étude du XIXe siècle, Madame Isabelle Van Eeckhaute et Monsieur Franck Caestecker, collaborateurs scientifiques occasionnels. Nous remercions de leur aide les services de la bibliothèque dirigée par Madame Suzanne Houbart-Wilkin, des Archives de l’Art Contemporain en Belgique, et Madame Micheline Colin, chargée de mission, ainsi que Madame Francine-Claire Legrand, chef de département honoraire et Madame Marie-Jeanne Chartrai-Hebbelinck, ancien collaborateur scientifique, qui ont mis à notre disposition l’importante documentation élaborée au cours de leur carrière. Notre reconnaissance s’étend à l’Institut Royal du Patrimoine Artistique, à Monsieur Fernand Baudin pour ses précieux conseils de mise en page, à tous ceux qui ont travaillé à ce catalogue, sans oublier le personnel administratif, technique et dactylographique de nos Musées.
Puisse ce catalogue se révéler l’outil indispensable du spécialiste comme du curieux, de tous les amis présents et à venir de nos Musées au rayonnement desquels il doit servir.

Philippe Roberts-Jones
Conservateur en chef
(en 1984 pour mémoire).

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