lundi 2 juillet 2012

Histoire de la peinture de plein-air avant l’Impressionnisme en six minutes


L’Ecole de Barbizon est l’une des étapes les plus importantes de l’histoire de la peinture de paysage du XIXe siècle. Cependant, elle n’est pas seulement une étape vers l’Impressionnisme, elle est bien davantage un mouvement pictural autonome, que les Impressionnistes ne se privent pas de critiquer. Le musée rénové d'Art et d'Histoire de Meudon l'illustre merveilleusement bien grâce à la donation de la collection de Christian Grellety-Bosviel.

L’Ecole de Barbizon a souvent été réduite à la période comprise entre 1840 et 1860 et son étiquette appliquée à toute la production picturale de l’Ile-de-France, ainsi qu’à bien des peintres plus au moins proches du mouvement. Or de nombreux artistes travaillent dans la Forêt de Fontainebleau dès le milieu du XVIIIe siècle et jettent, sans le savoir, les bases de ce qui devient l’Ecole de Barbizon au XIXe siècle. Le courant naît véritablement dans le premier quart du siècle entre les villages de Barbizon, Bourron-Marlotte, Chailly-en-Bière et Moret-sur-Loing. Ces peintres ont pour noms, pour ne citer que les plus connus, Bertin, Caruelle d’Aligny ou Corot, dont on sait, par son biographe Alfred Robaut, qu’il est à Moret en octobre 1822. Il suit ainsi un conseil que lui avait donné Achille Etna Michallon, son premier professeur, décédé en septembre de la même année.

La forêt de Fontainebleau devient alors une sorte de succursale de l’Italie et un lieu de préparation du Grand Prix de Rome. Les artistes y trouvent tous les types d’exercices que leur enseignement leur recommande de pratiquer. Elle permet aussi aux peintres qui n’obtiennent pas le Grand Prix et n’ont pas les moyens d’aller en Italie à leurs propres frais, de poursuivre leur apprentissage. La forêt est dans les années trente également un lieu de l’inspiration romantique. Ce n’est qu’après 1840, et très progressivement, que les œuvres peintes en plein air perdent leur statut d’études non exposées, au profit de celui d’œuvres à part entière. Il s’agit là de l’un des deux grands changements conceptuels que ce courant impose et qu’adoptent ensuite sans réserve de très nombreux peintres, dont les impressionnistes.

Peut-on parler d’une Ecole de Barbizon, alors que les personnalités qui la constituent proviennent d’horizons très divers ? On compte en effet  des représentants de  la peinture de paysage avec des artistes aussi différents que Camille Corot, Narcisse Diaz de la Peňa, Jules Dupré, Théodore Rousseau ; de la peinture de genre avec Alexandre Decamps ou Jean-François Millet ; de la peinture animalière, tels Rosa Bonheur, Charles Jacque, et Constant Troyon, ou même Barye, sculpteur mais également peintre. Il y a longtemps eu hésitation sur cette question de l’appellation. Les doutes sont aujourd’hui levés. Barbizon, les villages environnants et la forêt de Fontainebleau furent les principaux lieux de l’enseignement et de la peinture de paysage au XIXe siècle. En outre, bien que provenant d’horizons divers, ces artistes partagent tous des valeurs communes : amour de la nature, référence constante à la tradition ancienne du paysage, expression de sentiments, d’émotions, d’une certaine forme de poésie, et recherche par différents moyens d’une représentation réaliste de la nature (que les impressionnistes contestent). Tous ces éléments font bien de Barbizon une école, même si elle ne répond pas précisément à la définition traditionnelle.

Le parcours chronologique de l’accrochage des salles du Musée de Meudon synthétise ces réalités en commençant par présenter Lazare Bruandet et Georges Michel. Ces peintres, et quelques autres, passionnés par la nature, lui donnent progressivement une autonomie qu’elle n’avait pas, passant du paysage historique au paysage réaliste, en confiant à leur œuvre l’expression d’une émotion souvent poétique et qui, au-delà des débats picturaux, peut encore faire rêver aujourd’hui et inciter à une promenade dans la forêt la plus proche.
Ce « passage » a définitivement lieu en 1817 par l’instauration du Grand Prix de Rome du Paysage, imposé par Pierre-Henri de Valenciennes. A l’instar des autres prix de Rome, les paysagistes deviennent pour trois ans pensionnaires de l’Académie de France à Rome. Achille Etna Michallon, élève de Valenciennes, est le premier à bénéficier de cette disposition.
La peinture de paysage passe de genre mineur, simple accompagnement du sujet historique principal, au genre à part entière qui ne tarde pas à dépasser l’aura et la considération de la peinture d’Histoire.
Pierre-Henri de Valenciennes est aussi l’auteur d’un traité de la peinture de paysage publié en 1799 et réédité en 1820 (Eléments de perspective pratique à l'usage des artistes, suivis de Réflexions et conseils à un élève sur la peinture et particulièrement sur le genre du paysage) dont l’influence est grande sur l’ensemble des paysagistes classiques, de leur successeurs et même au-delà comme le démontre une lettre de Pissarro à son fils Lucien du 14 septembre 1883 : Dans la caisse tu trouveras un livre qui a été séparé en plusieurs parties pour plus de commodité ; c’est Guillaumin qui te l’envoie. Il est fait par le fameux Valenciennes, c’est ancien, c’est encore le meilleur et le plus pratique, tâche de te rendre compte des principes qui servent de base.

La nature devient donc progressivement un des sujets de prédilection des artistes « qui commencent » à peindre des paysages sur le motif. Il ne s’agit plus seulement d’études que l’on ne montre pas, mais quelquefois de véritables tableaux, peints dans l’esprit d’une exécution à l’atelier. Le franchissement de cette frontière est facilité par l’apparition de la peinture en tube vers le milieu du siècle. Il est alors possible d’emporter avec soi davantage de pigments.
Les peintres romantiques tels Paul Huet et Isabey sont généralement décrits comme faisant le lien entre les « premiers » peintres et les barbizoniens. Il ne faut cependant pas considérer cette autre « étiquette » avec trop de rigidité. Tous ces peintres travaillent concomitamment et se connaissent pour la plupart. Corot en est le meilleur exemple. Il n’est ni romantique, ni franchement barbizonien, ni précurseur de l’Impressionnisme, mais se rend très régulièrement dans la région et peint en compagnie de ses collègues, comme il le faisait déjà en Italie et le fait toute sa vie.
Lépine et Anastasi illustrent le courant des peintres délaissant les émotions pour s’intéresser aux sensations visuelles. Souvent considérés comme des précurseurs de l’Impressionnisme, ils s’en écartent pourtant par un traitement différent de la couleur. Viennent ensuite des peintres comme : Jules Dupré, Narcisse Diaz de la Peňa ou Théodore Rousseau, chacun revendiquant sa perception de la réalité et de sa représentation.


En somme, les paysagistes commencent par peindre de petites études sur le motif, pour recomposer la nature en atelier, puis tentent de la capter avec réalisme et exactitude : Une chose essentielle à laquelle vous devez surtout vous appliquer, c'est de vous habituer de bonne heure à faire des études de ressouvenir d'après celles que vous aurez faites journellement soit en imitant les maîtres, soit en copiant la Nature. C'est une méthode sûre pour former la mémoire et la meubler d'objets intéressants ; elle facilite le génie (P.-H. de Valenciennes). Ce faisant, ils se heurtent au changement continuel du paysage sous l’influence de la lumière et tentent de capter ces variations lumineuses : son utilité se fait encore mieux sentir en voyage. Lorsqu'on est en route, on n'est pas toujours maître de son temps ; on passe souvent devant des sites superbes, et l'on ne peut s'arrêter pour les copier. Il survient quelquefois un orage qui offre des effets extraordinaires, des clairs de lune piquants, et tous les phénomènes prompts de la Nature que l'on ne peut saisir à l'instant, faute de moyens nécessaires pour les dessiner. Si la mémoire n'est pas formée par un exercice habituel, ces objets s'en effacent promptement, quoiqu'ils l'aient d'abord vivement frappée. Ils y sont remplacés par ceux qui leur succèdent immédiatement, qui méritent quelquefois moins d'attention ; au lieu qu'en se faisant l'habitude de travailler d'après la mémoire on peut, à la première halte, faire un croquis des objets qu'on n'a vus qu'en passant, et dont on conserve l'idée encore fraîche. Ces croquis servent, dans la suite, de répertoire ; les parties qu'on a mises sur le papier rappellent celles qui doivent compléter la masse entière des lieux ou des choses qui méritent d'être représentés (P.-H. de Valenciennes). Insatisfaits, les peintres de Barbizon reviennent à une vision intellectuelle de la nature, avant de s’éloigner de la représentation réaliste vers la « peinture pure ». Enfin, ils choisissent  de suggérer les forces vitales de la nature par la couleur et les formes abstraites.
Le maître mot qui traverse les siècles est la « mémoire ». Tous les peintres l’entretiennent à un niveau totalement oublié aujourd’hui. C’est elle le garant du « génie de l’artiste » : le Peintre qui ne sait pas travailler d'après sa mémoire, est arrêté à chaque instant, ou se trouve réduit à mal faire, parce qu'il se souvient mal de ce qu'il a vu. Je vous exhorte, en conséquence, lorsque vous aurez fait une étude quelconque, à la refaire sans regarder le modèle ; et après vous être appliqué à ne rien oublier, quand votre mémoire ne vous fournira plus rien, vous ferez alors la comparaison avec l'original […] parvenu par degré à vous meubler la tête, vous aurez beaucoup plus de facilité pour composer vos ouvrages (P.-H. de Valenciennes).

Au XXIe siècle, certains peintres, comme Olivier Masmonteil, cherchent à intégrer dans une nouvelle forme de réalisme, non seulement toutes les expériences picturales du passé, mais également celle du cinéma, de la photographie, de la vidéo, du théâtre et du voyage. L’Italie, la forêt de Fontainebleau ou d’autres régions ne sont plus les seules sources d’inspiration. Le monde entier tient à présent ce rôle, dévolu durant des siècles uniquement à Rome, puis à Barbizon. Cette réinterprétation contemporaine du mode opératoire ancestral, dont Marie-Laurence Gaudrat est un autre exemple, produit une nouvelle forme de peinture de paysage de grande qualité … que l’on trouve dans les ateliers ou les galeries, loin des évènements médiatiques spectaculaires. Encore une similitude avec Valenciennes, Barbizon, Corot,… Ils contribuent comme leurs prédécesseurs au renouvellement de la peinture de paysage.


Liens utiles :
Le Musée d'Art et d'Histoire de Meudon

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire