Puisse-t-il être entendu rapidement !
Il y a malheureusement peu d’espoir tant que l’on confondra musées et industrie
touristique, œuvres et produits commerciaux, professionnels et technocrates
convaincus par cette curieuse compréhension des missions et du fonctionnement
des musées. Reconnaissons à leur décharge que cette mode n’est malheureusement
pas uniquement belge et fait des dégâts dans bien des musées du monde. Il est
instructif de se souvenir de deux critiques de la mode, faites dans la première
moitié du XVIIIe siècle. Comme souvent en matière d’écrits du passé,
elles conservent toute leur actualité et devraient faire réfléchir sur la
pertinence des certitudes actuelles. Un auteur anonyme écrit en mai 1726, dans
le Mercure de France, sur un ton très
ironique : On sait depuis longtemps que c’est
une nécessité d’être à la mode et qu’on ne peut s’en dispenser sans passer pour
ridicule. Le
Président de Brosses lui fait écho en 1739, lors de son séjour à Venise : J’ai trouvé à mon grand étonnement, qu’il [Vivaldi] n’est pas aussi estimé qu’il le mérite en
ce pays-ci, où tout est de mode, où l’on entend ses ouvrages depuis trop
longtemps et où la musique de l’année précédente n’est plus de recette. Ce
grand connaisseur rappelle ainsi que ce que nous rejetons aujourd’hui sera à la
mode dans peu de temps, voire porté au pinacle. Les exemples sont légion en
matière d’art. Humilité et prudence sont toujours de mise, comme dans bien des
domaines.
C’est une conviction personnelle que l’avenir
des musées en général, et belges en particulier, s’éclaircira lorsque
conservateurs, universitaires et historiens de l’art seront parvenus à faire
comprendre qu’un musée se gère aujourd’hui comme une entreprise, sans être une
entreprise, et que le véritable défi est là. Les gains de productivité, les
économies, une vision contemporaine de l’organisation structurelle sont
réellement possibles et gages d’une saine gestion des musées, tout en mettant
les œuvres et l’ensemble du personnel au cœur du projet scientifique, culturel et
de valorisation des collections (le business plan cher à d’autres sphères).
Encore ne faut-il pas tout confondre, comme on l’observe de plus en plus
souvent, et tout sacrifier au dieu rentabilité.
La « rentabilité » d’un musée
ne se mesure pas uniquement, dans l’institution même, « en retour sur
l’investissement » consenti. Elle est en effet bien sensible dans les
entreprises que les musées font vivre directement ou indirectement et notamment
sur l’emploi de l’industrie touristico-culturelle.
En outre, toutes les villes qui ont réussi
la modernisation de leurs musées ont connu un développement parallèle du tourisme
et par conséquence immédiate de l’ensemble de l’économie locale et parfois
régionale (Berlin, Bilbao, Nantes, pour ne citer que trois villes). Sans
oublier les « retours » bénéfiques en termes d’image de ville
dynamique. Par ailleurs, une étude française, publiée voici quelques années, a
démontré qu’en France, un emploi public générait quinze emplois privés. Pourquoi
ne serait-ce pas à peu près la même chose en Belgique ?
Enfin,
la rentabilité la moins mesurable, mais certainement aussi porteuse est
ailleurs. Comment en effet rendre compte de l’impact de l’art, de la culture en
général, sur le développement personnel ? Chacun sait qu’il est immense en
termes d’éveil
au beau, à la sensibilité, de compréhension de soi, de libération d'émotions
(souvent créatrices), de stimulation sensorielle et cérébrale, de recherche
spirituelle et intellectuelle, d’ouverture d’esprit. Bref de tout ce qui fait
qu’un être humain se développe harmonieusement, cherche à se dépasser, crée les
conditions d’une vie en société toujours plus harmonieuse, moins violente,
moins matérialiste, moins individualiste ; fait rayonner sa famille, son
entreprise, sa ville, son pays. Utopie ? Recherchez les exemples autours
de vous ou dans l’histoire et vous en viendrez à la même conclusion.
Il ne faut pas hésiter à franchir un pas
dans cette réflexion, qui devrait rassurer les plus matérialistes, en affirmant
qu’un touriste bien accueilli conserve un souvenir fort, souvent indélébile, de
son court séjour. Cette qualité recherchée à toutes les étapes de son voyage le
fera invariablement revenir vers son pays d’accueil, lorsqu’il souhaitera
développer un projet scientifique, commercial, industriel ou touristique. C’est
un ressort bien connu dans la diplomatie, particulièrement en France, dont le
patrimoine est le premier instrument de la présence française à l’étranger. Il
s’agit là d’un autre vecteur de développement politique et économique, pour le
patrimoine culturel, très souvent oublié, sous-estimé, voire raillé.
La Belgique dispose d’atouts majeurs en
matière de patrimoine, les musées fédéraux en particulier. Leur survie est au
prix de la compréhension de ce qui précède. Ne les sacrifions pas au nom de phénomènes
de mode, de questions politiques ou linguistiques que personne ne comprend
au-delà des frontières (quelqu’un les comprend-il réellement à Bruxelles
intramuros ?), mais dont tous les autres concurrents profitent pour se
développer et croître tranquillement. Le monde des musées est en effet
formidablement concurrentiel et l’inertie belge est une aubaine pour bien des
musées étrangers.
Ce n’est pas un musée universel, ni un méga
musée qu’il faut faire en réunissant autant d’institutions bruxelloises sous
une même et unique direction qui relève davantage du rêve que de la réalité. La
rationalisation annoncée ne sera jamais atteinte de cette façon. Les projets
que l’on a pu lire dans la presse ou sur internet font davantage penser au
phénomène de mode et donc au sacrifice d’une partie des collections, missions
et recherches. Il faudra au mieux dix ans pour y parvenir d’une façon
incertaine, à condition d’obtenir les moyens financiers dès le budget 2013, tant
les cultures, les moyens et les motivations sont différents. Son caractère
multi-sites ne favorise pas davantage un développement harmonieux, ni une
marque aisément identifiable. En outre, l’appareil technico-administratif
entrera, à mesure de son développement, inévitablement en conflit avec le sens
même du musée, sera l’occasion de multiples freins et de nouvelles dissensions.
C’est au contraire en restaurant la capacité d’action des musées existants, en
créant un réseau efficace, en trouvant toutes les synergies utiles entre eux
que l’on pourra retrouver la visibilité internationale des collections (totalement
perdue) et valoriser la compétence du personnel qui se dévoue à sa
conservation. En outre, plus on attend, plus la pente sera longue à remonter
aussi bien du point de vue muséal, scientifique que touristique. Il y a urgence,
là également.
Il reste à trouver les directeurs capables
d’insuffler le souffle nécessaire, ce qui ne devrait pas être impossible si
l’on range les questions politiques, individuelles et autres errements. Mais il
est plus que temps de les nommer ; certains sont à la retraite depuis des
années et leur remplaçant ad interim
également !
La seule voie est de « faire avec »
l’existant, pour reprendre une expression bien belge, en termes de budget, de
personnel et de bâtiments. Les moyens financiers seront toujours attendus
(pensons simplement au Livre blanc mort-né en 2002), les questions politico-linguistiques
toujours plus présentes parmi un personnel politique peu attiré par les enjeux
culturels. Inutile donc de rêver à la construction ex nihilo d’un nouveau musée d’art contemporain avant que les
musées existants aient les moyens de vivre et de retrouver leur place internationale
perdue. Corollaire immédiat, il faut que l’aile contemporaine des Musées Royaux
des Beaux-Arts de Bruxelles rouvre ses portes sans délai et que cette
malencontreuse prise d’otages cesse. Elle passe à l’étranger pour une
maladroite manœuvre politique. Bruxelles, capitale du Royaume et de l’Europe,
ne peut rester plus longtemps sans un musée d’art contemporain.
Un musée n’existe pas sans œuvres ;
les œuvres sans personnel scientifique, technique et administratif
compétent ; le public sans un véritable projet scientifique et culturel.
Un musée n’existe pas si son projet est bâti sur un effet de mode, même si la
structure administrative et technique est la plus performante que l’on puisse
rêver. C’est dans ce domaine un axiome aussi solidement démontré que celui
d’Euclide.
Les musées ne
sont pas un luxe, ils sont de première nécessité, pourrait-on dire en paraphrasant
la belle formule d’Edgar Degas à propos de la culture. Ils sont les racines de
nos vies et comme chacun sait : pas d’arbres sans racines, ni de sociétés
équilibrées sans culture, ni musées.
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Notre sortie de crise viendra de l'Art, de l'innovation. Notre trésors dorment dans les caves faute d'entrepreneurs pour les mettrent en valeur. Ce débat est récurrent alors que le "retour sur investissement" est de loin le meilleur. Nos grandes fortunes de tout les temps l'ont toujours compris et nos politiques de temps en temps. Mais courage la lumière viendra.
RépondreSupprimerAlbert de Hareng