mercredi 14 janvier 2015

Ni plan B, ni plan caché pour les musées royaux et les ESF ? Une rencontre avec la Secrétaire d'Etat Elke Sleurs

 
Le Musée Royal des Beaux-Arts de Bruxelles (c)


Beaucoup de choses ont été dites, écrites, pas toujours vérifiées, quelquefois interprétées ou mal comprises. Si les politiques manifestent peu d’intérêt pour les musées, il est évident que les médias dans leur ensemble connaissent mal ou pas du tout l’univers des musées. Il est souvent regardé comme un lieu élitiste, poussiéreux, très ennuyeux (ce qui n’est plus le cas depuis longtemps) ou comme une sorte de Disneyland culturel (ce qui n’est jamais le cas des meilleurs musées). Comment s’étonner dès lors d’une couverture aussi particulière ? Qui plus est, dans certaines circonstances, pas exempte de coloration politique. Un exemple tout simple devrait suffire à donner la mesure : la confusion entre Art Moderne, Art Contemporain et Art actuel est permanente et généralisée. Un étudiant de première année en Histoire de l’Art serait recalé.

C'était donc l’occasion pour moi lors d’une conservation à bâtons rompus avec Madame Sleurs, à son invitation, accompagnée par Bart Suys, son Conseiller pour ces matières, d’entendre directement son point de vue et ses projets pour les Musées Royaux des Beaux-Arts de Belgique en particulier et pour les Etablissements Scientifiques Fédéraux (ESF), en général. Les lignes directrices de cet entretien suivent, et s’achèvent par mon commentaire.

La première affirmation forte conditionne toute son action : « il n’y a pas de plan caché. C’est une certitude, ni plan A, ni plan B », mais seulement la volonté de gérer les musées à l’aune de la muséologie contemporaine. L’autre grande affirmation porte sur les réductions budgétaires. Elles sont imposées à tous les services publics dans les mêmes proportions. Il appartient aux institutions culturelles de s’y conformer, comme le feront tous les autres services. Il ne s’agit pas d’une décision personnelle, mais d’une conséquence de la mise en œuvre de l’accord gouvernemental.

Madame Sleurs affiche une volonté réelle de gérer ces musées comme le sont les musées comparables dans le monde occidental. « Il faut être imaginatif, dans le cadre budgétaire imposé par l’accord de Gouvernement, pour trouver les moyens de réorganiser les musées et leur gestion dans le but de leur rendre la place qui était la leur et faire en sorte que les collections soient exposées ».
Il s’agit, selon les termes mêmes de la Secrétaire d’Etat, d’un défi muséologique, politique et humain, qu’elle souhaite véritablement réussir.

Elle compte notamment, pour y parvenir, sur une plus grande participation du secteur privé et un changement progressif des mentalités en ce sens, sans pour autant que le Gouvernement fédéral cesse les investissements nécessaires.

La surprenante décision de suppression de Belspo a été décidée parce que ce Service Public de Programmation de la politique scientifique fédérale a en partie perdu de vue son objet principal. Le projet est de faire bénéficier directement les ESF des budgets et personnels existants tout en leur accordant une plus grande autonomie de gestion.
Par ailleurs, Elke Sleurs rappelle qu’un Service de Programmation n’est créé que de façon provisoire et n’a donc pas pour objectif d’être éternel (pour mémoire le SPF Politique Scientifique Fédérale a été créé en 2002).

Quant au Musée Fin de Siècle, sa fermeture n’a jamais été envisagée. Mais il est par contre bien question de repenser le parcours au sein des bâtiments existants. Les propos de la Secrétaire d’Etat ont été à cet égard mal compris ou interprétés. Ce Musée existe, des fonds ont été libérés, les œuvres sont dignes d’intérêt et doivent être exposées. « Repenser le parcours général dans l’ensemble des bâtiments ne signifie pas fermer le Musée fin de Siècle ».

La mise aux normes des bâtiments Citroën (ou d’autres) n’est pas envisageable « il s’agit, d’ailleurs, d’un projet qui relève de la compétence de la Région Bruxelles-Capitale. Le bâtiment présente des contraintes énormes pour en faire un musée et les budgets nécessaires à une telle entreprise n’existent pas ». Par ailleurs, il y a une grande confusion entre « Collection d’Art Moderne », « Collection d’Art Contemporain » et « collection d’Art Actuel », ce qui est très différent et ne concerne pas du tout les mêmes œuvres. L’objectif de la Secrétaire d’Etat est clairement de réexposer les collections existantes d’Art Moderne et d’Art Contemporain, dont le musée a été fermé en février 2011. Elle souhaite pour y parvenir utiliser l’espace disponible au sein des bâtiments existants, dont la rénovation doit de toute façon être achevée.
« Quant à l’Art Actuel, il n’existe pas à Bruxelles de grande collection publique, malheureusement ». Le débat sur son installation dans tel ou tel bâtiment n’est donc pas de nature muséographique. La question est de rendre au public, le plus rapidement possible, et dans les meilleures conditions, les collections d’art moderne et d’art contemporain malgré le cadre budgétaire très serré imparti.

L'Institut  Royal du Patrimoine Artistique de Bruxelles (c) GW

Que faut-il penser de ces intentions et projets qui semblent clairement définis par la Secrétaire d’Etat ? Ils le sont ici en tout cas plus clairement que ce que l’on peut lire ou entendre dans les médias, toutes obédiences confondues. Il y a certainement des maladresses de communication, mais c’est un art difficile à maîtriser et tellement simple à détourner.

Depuis le début, j’interviens dans ce dossier en Historien de l’Art défenseur de ces musées qui sont à l’origine de ma vie professionnelle des 25 dernières années et non en politique. Ce n’est pas mon rôle, pas plus qu’il ne m’appartient d’intenter des procès d’intention. Or, si je compare les objectifs tels qu’ils viennent de m’être expliqués, ce que j’en lis ou entend dans les médias ou ce qui s’en dit, il y a une différence qui ne peut avoir que deux explications. La première a été évoquée à l’instant, et la seconde serait un mensonge politique d’envergure. J’ai du mal à m’y résoudre. Ce serait à désespérer de la politique, des politiques. 

Peut-être suis-je naïf ? Je préfère cependant de loin juger sur les actes. Je reste naturellement très sceptique à propos de la capacité de ces institutions à survivre à des réductions budgétaires de cette ampleur. Il va en effet bien falloir renoncer à une partie des missions et actions des musées. Je vois bien, à terme, le risque que l’on ne peut totalement écarter. Mais, si « le plan caché n’existe pas » comme Elke Sleurs l’affirme avec force, nous ne pouvons exclure de la réflexion qu’il se présente peut-être devant nous la première, et dernière, possibilité pour le Musée d’Art Moderne de ressusciter et pour les Musées Royaux de renaître avec un modèle de gestion qui fait la réussite de leur confrères dans le monde. Que faut-il faire ? Continuer à crier haro sur le baudet ? Hurler au démantèlement ? Ou se donner une chance d’un souffle nouveau pour les musées royaux, allant dans le sens de ce que nous sommes quelques-uns à défendre ouvertement et nombreux, ne pouvant parler, à soutenir discrètement ?

Et le grand musée d’Art Contemporain, me direz-vous ? Le problème est très ancien et mérite naturellement une solution à la hauteur de la capitale de l’Europe, mais il ne se résoudra pas en quelques mois. Il faut une collection publique d’envergure internationale à y exposer (elle n’existe pas), il faut un budget de création et de maintenance très important (où est-il ?) et plusieurs années de préfiguration, de construction/rénovation/dépollution (barrez les mentions inadéquates).
Le Musée Royal d'Art et d'Histoire de Bruxelles (c) GW


La solution est ailleurs. Sérions les problèmes, traitons en parallèle les musées existants ou fermés et le futur musée d’Art contemporain. Mettons les acteurs publics et privés autour de la table, parlons, partons de ce qui existe (il y a de formidables réalisations en Art Contemporain/Actuel à Bruxelles avec, qui plus est, les compétences à la hauteur des enjeux) décidons, agissons, et cessons de lancer des imprécations dans un vide absolu, mais destructeur.

Confiant et positif, je reste cependant prudent : tant de choses ont déjà été affirmées avec conviction et fermeté dans ce dossier depuis 2002 (pour ne pas remonter plus loin, bien que cela soit possible). Le résultat a toujours été à l’exact opposé des ambitions et a conduit les musées dans le misérable état connu de tous, public et professionnels.
Cependant, ce semble être la première fois, depuis les vingt-cinq dernières années, que l’on voit poindre de la part du monde politique un intérêt réel pour les musées royaux et l’Institut Royal du Patrimoine Artistique (IRPA). Mis à part l’acte extrêmement courageux du Secrétaire d’Etat Philippe Courard, mettant fin à cette absurdité des « Pôles », quelques jours avant de quitter ses fonctions. Il faut l’en remercier, ce qui n’a pas été suffisamment fait.
Nous voyons à présent une lueur, vacillante, je le concède volontiers, mais suffisante pour y croire quelques instants et accorder aux ESF une chance de survivre tout en préservant leur spécificité et en accroissant leur autonomie, dans le piège de laquelle il faut veiller cependant à ne pas tomber.

Il sera toujours temps au premier mauvais signe, que d’aucuns annoncent déjà, de réagir avec toute l’énergie nécessaire. Ne condamnons pas l’initiative avant d’avoir vu le premier projet. Les Musées Royaux, l’IRPA et les ESF dans leur ensemble en valent bien la peine.

Gérard de Wallens
 

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