Les Echevins des 19 communes de Bruxelles ont envoyés au début du mois de février une lettre ouverte à Madame Sleurs, Secrétaire d’Etat en charge, notamment, des musées royaux bruxellois. L’objectif était de s’inquiéter officiellement et de marquer leur opposition à la fermeture du Musée Fin de Siècle installé à la place du défunt Musée d’Art Moderne.
Ce nouveau « musée », au nom peu en phase avec son contenu, qui couvre en réalité une cinquantaine d’années, est au cœur du débat relatif à l’organisation, la réorganisation, voire la survie des Musées royaux des Beaux-Arts de Belgique à Bruxelles.
Il va sans dire que je suis vraiment heureux que plusieurs femmes et hommes politiques s’emparent enfin de ce sujet qui tient particulièrement à cœur de nombreux artistes, conservateurs de musées ou historiens de l’art, dont je suis. Il faut y ajouter les amateurs, collectionneurs, amis de musées et le public, toutes catégories de visiteurs dont la parole est plus difficile encore à entendre que la nôtre.
Infiniment merci donc pour votre intérêt qui, je l’espère, contribuera aux efforts entrepris pour permettre aux musées royaux et à l’Institut Royal du Patrimoine Artistique de redevenir les institutions marquantes qu’elles furent.
Néanmoins, pour très positive que soit cette intervention, elle n’est pas exempte d’approximations qui auraient pu être évitée par une information plus complète à propos de l’épineux problème que pose la gestion des Musées Royaux bruxellois. La simple lecture de ce blog, les articles de Denis Coekelberghs, publiés dans La Tribune de l’Art depuis des années ou du blog de Musée sans Museum zonder Musea aurait été bénéfique. Cette lecture aurait au minimum apporté matière à réflexion autour d’une information que l’on semble vous avoir donnée de façon partielle aux Echevins. Mais on sait combien il est difficile d’être entendu plus encore par la presse traditionnelle, qui souffre beaucoup d’une certaine forme d’autisme. Mais, loin de moi l’idée de jeter la première pierre.
Qu’il me soit donc permis d’attirer l’attention, de façon synthétique, et dans l’esprit de parfaite bienveillance qui m’anime en permanence, sur quelques-unes des affirmations de cette lettre ouverte qui intriguent les professionnels des musées et les historiens de l’art.
La première, et principale dans l’esprit des signataires, est de constater que Madame Sleurs affirmait clairement sa volonté de ne pas fermer le Musée Fin de Siècle (MFS), mais de repenser le parcours dans l’article publié en janvier dernier sur ce blog. Elle était sans ambiguïté à ce sujet.
Pour ma part, contrairement aux Echevins, je ne vois pas dans ce MFS « La réelle vitrine pour Bruxelles ». J’aimerais comme tout le monde qu’elle existe réellement, d’autant que tous les éléments, complémentairement aux institutions fédérales, existent à Bruxelles pour rendre à cette vitrine son attractivité perdue. Mais, ne serait-elle pas constituée, entre autres, par un Musée du Cinquantenaire et un Musée des Beaux-Art (sans oublier leurs différentes merveilleuses annexes) en parfait état de fonctionnement, sainement gérés, financés à la hauteur des enjeux, et un Musée d’Art Moderne ouvert et non supprimé d’un trait de plume, sans aucune solution de rechange ? Agir ainsi est un risque inconsidéré dans n’importe quelle ville du monde et irresponsable à Bruxelles dans le contexte économique et politique.
La lettre ouverte des Echevins souligne que ce « musée se distingue par son caractère pluridisciplinaire ». Un rapide tour d’horizon, permet de constater que les nouvelles muséographies sont à présent toutes « pluridisciplinaires » et les prêts ou dépôts entre musées sont monnaie courante. Rien donc de particulier dans le cas du MFS.
Par ailleurs, pour avoir visité plusieurs fois ces salles, je puis affirmer n’y avoir rien vu « d’innovant ». La muséographie précédente (qui avait besoin d’un rafraîchissement) avait elle aussi été conçue pour une « parfaite adéquation avec le cadre architectural ». C’est même l’un des traits marquant de cet édifice conçu par l’architecte Roger Bastin qui a bien failli être irrémédiablement détruit par l’actuelle direction, si nous n’avions pas été nombreux à tirer le signal d’alarme.
Tous les projets alternatifs auxquels il est fait allusion dans la lettre ouverte n’ont jamais été chiffrés, ni fait l’objet d’un calendrier précis, ni d’une étude de faisabilité muséographique. Or leurs inconvénients en matière de conservation sont nombreux, très coûteux en terme de construction/rénovation et de maintenance et surtout jamais réellement satisfaisants à long terme pour les œuvres. En outre la lettre ouverte cite des réalisations (Mamco à Genève, Guggenheim à New York et Biblao, Moma à New York) qui pour la plupart ont dépassé les 100 millions d’euros ou de dollars d’investissement. Ces sommes sont-elles disponibles à Bruxelles ?
Ceci dit, le bâtiment Citroën, ou le Palais de Justice pour ne citer que deux exemples, sont des lieux merveilleux, mais très difficiles à transformer en musée, sans d’énormes dépenses.
On nous dit que le Musée Fin de Siècle a attiré 173 000 visiteurs en 2014. Il faut malencontreusement relativiser. Personne ne sait comment se décompose ce chiffre. Il serait intéressant de connaître le nombre d’entrées gratuites, de scolaires et de billets combinés (dont il est souvent difficile de connaître la ventilation) pour dégager le nombre réel de visiteurs. Il faudrait ensuite le comparer avec le nombre moyen de visiteurs du défunt Musée d’Art Moderne, sans oublier les facteurs « ouverture récente » et augmentation du tourisme. Par ailleurs, ce chiffre, qui conviendrait à n’importe quel musée de stature nationale ou régionale, n’est pas à la hauteur d’un musée d’envergure internationale.
Plus surprenant, les signataires affirment que la situation du Musée d’Art Moderne a toujours été considérée comme temporaire. Je m’interroge. Le musée a été fermé sans solution de remplacement, ce qui professionnellement est une erreur, sachant que mettre des œuvres en réserve pour une très longue période présente des risques de conservation et celui, plus politique, de devoir les y laisser faute d’argent que la tutelle ministérielle préférera toujours utiliser pour des causes plus urgentes (hôpitaux, écoles, prisons, justice, etc…).
Par ailleurs, dans un contexte non politisé et non défaillant financièrement, il faut en général une dizaine d’années pour faire aboutir un projet ex nihilo. Il y a aujourd’hui 4 ans que le musée est fermé et l’on ne voit pas poindre de nouveau musée avant longtemps. Il ne nous a été proposé que des projets mal montés, non financés et incohérents du point de vue de la simple conservation. Autant dire que nous sommes toujours dans la situation de février 2011 : à l’arrêt, sans solution immédiate et réaliste. Espérons que Madame Sleurs tienne ses promesses et qu’une solution financée et muséologiquement réalisable soit prochainement annoncée.
Curieusement, je ne connais pas de musées qui fassent alterner « les collections permanentes fréquemment renouvelées par ailleurs », comme cela est affirmé dans la lettre ouverte. Le cas du Louvre-Lens, auquel pourraient penser les signataires est totalement atypique et ne peut être comparé à la gestion habituelle d’un musée. Il arrive, par contre dans certains musées, que des salles soient modifiées et plus fréquemment encore des tableaux accrochés par rotation. Mais rien de plus et assurément pas de « collections permanentes fréquemment renouvelées ». Il faut aussi prendre en compte le coût de tels changements périodiques, clairement hors de portée d’un musée bruxellois.
Inutile aussi de rêver au taux de fréquentation du Louvre-Lens. La « marque » Louvre constitue à elle seule une bonne partie de l’attraction, le parti original la complète, mais surtout l’entrée est gratuite depuis le début (à l’exception des expositions temporaires). Le tout est « emballé » dans un savant marketing touristique.
Le dernier paragraphe de la lettre ouverte appelle également quelques observations, mais sa nature politique dépasse le contexte muséologique, et je ne m’autorise pas d’incursion dans ce domaine qui n’entre pas dans mes compétences. Je remarque seulement que les Musées du Cinquantenaire, des Beaux-Arts et d’Art Moderne ont longtemps été une vitrine mondiale pour Bruxelles, avant qu’ils ne soient laissés à l’abandon.
Ils étaient alors des institutions de pointe, tout comme l’Institut Royal du Patrimoine Artistique. Il faut se souvenir que jusqu’au début des années 80 ce dernier était parmi les trois institutions qui ont le plus contribué, depuis les années trente, au développement de la conservation-restauration, des techniques scientifiques d’examen des œuvres d’art et de la conservation préventive. Les deux autres étaient : le laboratoire du Musée du Louvre (ancêtre de l’actuel Centre de recherche et de restauration des musées de France) et l’Instituto per il restauro de Rome. Un tel niveau d’excellence laisse songeur. La Belgique comptait alors de nombreux grands noms de renommée internationale.
Avez-vous remarqué que seul le Musée de l’Afrique Centrale a réussi son projet de rénovation ? Comment ? La clé de la réussite est « simple » : une saine gestion, un sens aigu de la diplomatie, une conception muséale contemporaine à l’égal des autres grands musées du monde ayant réussi leur transformation, un véritable projet scientifique, culturel et de valorisation, conduit pendant plus de dix ans par un véritable professionnel de musée, secondé par une équipe de la même trempe. Cette institution connue dans le monde entier, à la pointe de la recherche depuis les origines, va revenir au même niveau muséal, qu’elle avait perdu également. Mais il aura fallu au total une petite quinzaine d’années. Un modèle à étudier pour réussir le même retour des musées royaux bruxellois sur la scène internationale.
Impossible de terminer, sans souligner que le Cinquantenaire, les Beaux-Arts et l’IRPA sont soutenus à bout de bras par un personnel technique, administratif et scientifique de grande qualité, entièrement dévoué à leurs établissements. Sans ces hommes et ces femmes, ces institutions auraient sombré depuis longtemps. Il ne manque que de véritables directeurs à leurs têtes. Le Cinquantenaire et l’IRPA sont sur la bonne voie.
Serait-il déplacé d’envisager l’application à ces trois institutions du concept d’exception culturelle ?
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