La Libre Belgique consacrait il y a quelques jours un article aux «innovations» de l’exposition Kandinsky (dans les collections russes) ouverte aux Musées Royaux des Beaux-Arts à Bruxelles. Je suis, pour ma part, nettement plus réservé quant au caractère innovant du montage élaboré pour la circonstance. Le coût annoncé de cette exposition « clé en main » est également un sujet d’étonnement. Le Musée de Saint-Petersbourg n’est pas connu pour brader ainsi ses œuvres, pas plus que d’autres musées occidentaux ayant cédé à la forte tentation de louer leurs fonds. La facture se règle rarement au-dessous du million d’euros. Il faut aussi ajouter à cette somme annoncée de 150 000 € les frais de production. Mais c’est un autre débat.
Quelles sont donc les innovations ? Des synergies entre musées bruxellois appartenant au même groupe ? Il ne s’agit que d’emprunter des œuvres au Cinquantenaire et au MIM, ce qui peut se faire sans fusionner les institutions et tel que cela se pratique d’une manière générale dans n’importe quel musée dans le monde.
Externaliser la promotion ? C’est nier les compétences du personnel des musées bruxellois et par là montrer que l’on peut se passer d’eux. Un pas de plus vers le démantèlement. On peut également s’interroger sur ce qui a prévalu pour confier la communication à une asbl (BME) dirigée par l’échevin bruxellois du tourisme ? Outre la spécialisation de cette structure dans l’événementiel, c’est un pas de plus vers la transformation des musées en entités événementielles.
Différentiation des prix d’entrée en fonction des jours et des heures ? Pourquoi pas ? Mais compte tenu des tarifs pratiqués, je vois surtout une dérive mercantiliste qui ne rencontre pas réellement l’attention que tout directeur de musée a aujourd’hui d’aller à la rencontre du public qui reste sur le seuil des musées ou qui en est franchement éloigné. Qui peut, qui voudra, donner entre 13 € et 17,50 € pour une entrée d’exposition ? Bien des tenants de l’ultralibéralisme en ont rêvé ! La démocratisation de la culture, chère à tout acteur culturel, n’y trouve pas son compte.
Il est par ailleurs indispensable de laisser la liberté au visiteur de louer ou non un audioguide. L’argument avancé par la direction ne résiste pas : «Nous avons vu avec l’expo Jordaens, que les visiteurs manquaient d’explications. L’audioguide est une vraie promenade dans l’expo». D’une part, il n’a pas fallu attendre cette exposition pour constater qu’un audioguide est un plus. D’autre part, si un visiteur est en mal d’explications, c’est que les cartels, les panneaux pédagogiques et le petit journal ou les feuillets qui accompagnent en général une exposition de qualité sont déficients. Un audioguide est un des éléments d’accompagnement de la visite, pas le seul, et ne convient pas à tous les visiteurs. Par ailleurs une visite sans audioguide est aussi une «vraie promenade dans l’expo» et à moindre coût.
Puis-je suggérer une innovation supplémentaire ? Introduire la différenciation du prix d’entrée en fonction de la localisation géographique de l’internaute effectuant sa réservation. Ce n’est pas une fiction, des logiciels sont déjà parfaitement capables de le faire.
Le début d’une collaboration suivie avec BME, une réédition d’expositions clés en main avec nos collègues russes ? C’est une pratique courante, mais il faut veiller à ce que ce ne soit pas un pas de plus vers le démantèlement des musées et la négation des compétences internes des Musées Royaux.
Même le sujet de l’exposition n’est pas une innovation. Il n’y a pas grand chose de nouveau à dire pour l’instant sur Kandinsky et c’est par ailleurs encore un sujet de prédilection du Directeur Général (après Magritte et le Musée fin de siècle). On me rétorquera que l’on réunit ces tableaux pour la délectation du visiteur et qu’en soi cela n’est pas blâmable. Cela se discute. Est-il raisonnable de faire prendre des risques à des œuvres, dont nous sommes en principe tous les protecteurs pour les générations futures, simplement pour assurer la continuité d’une offre culturelle ? Le débat est ouvert depuis longtemps en ce qui concerne les musées. La réponse est négative pour les associations ou les agences spécialisées de droit privé susceptibles d’en retirer un profit.
Toutes ces innovations ne sont qu’une diversion pour masquer le démantèlement en cours, ainsi que le triste état dans lequel les Musées Royaux ont été plongés
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