L’heure est au bilan aux Musées Royaux des Beaux-Arts de Bruxelles, après la démission de Michel Draguet, de la direction intérimaire du Cinquantenaire, la nomination de son successeur (en dehors de toute procédure) et l’annonce de l’ouverture prochaine d’un Musée d’Art Moderne dans les anciens magasins Vanderborght. Le surréalisme de Magritte a nettement déteint sur ce dossier. On s’en rend compte non seulement à la lecture de ce court résumé de la situation, mais également lorsque l’on observe la gestion des Musées Royaux des Beaux-Arts et celle des Musées Royaux d’Art et d’Histoire durant les années Draguet. Le surréalisme, dans sa première acception, culmine lors de la conférence de presse de l’intéressé et ensuite dans les commentaires de la presse généralement laudative, dépourvue de connaissance d’un dossier ouvert il y aura bientôt quinze ans. Curieusement, la presse belge, à de très rares exceptions près, est complètement déconnectée de la réalité muséale telle qu’elle se vit partout dans le monde.
En France, les deux hauts fonctionnaires auraient déjà été relevés de leurs postes. Je pense par exemple, dans un passé tout proche, à la Présidente du Centre des Monuments Nationaux. Elle présentait plus d’un point commun avec les acteurs du naufrage bruxellois. Il a suffi que la Ministre de la Culture annonce qu’elle n’avait plus sa confiance et la Présidente quittait définitivement dans l’instant son bureau. Comment le Ministre Courard peut-il encore avoir confiance dans les deux principaux protagonistes du drame qui se joue sous nos yeux en d’interminables actes depuis des années ? La démission annoncée au Cinquantenaire est un pas encourageant dans la direction d’un retour à une gestion muséale qui a fait ses preuves dans le monde entier, mais cela n’est pas
suffisant.
L’abandon du projet dit des « pôles » est une bonne nouvelle pour les dix établissements scientifiques fédéraux. Mais il ne faut pas se leurrer ; la plupart des projets qui en dépendaient dans les musées vont être poursuivis en sourdine pour, comme toujours, mettre les uns et les autres devant un fait accompli. La technique a démontré sa parfaite efficacité.
A titre d’exemple, cette erreur du « Vanderborght » continue. L’absence programmée de Gouvernement et la remise à plus tard de ces questions par l’actuel ne sont pas rassurant. Cependant, la réunion autour de la table de tant de niveaux de pouvoirs administratifs laisse simplement un peu d’espoir pour que cela ne se fasse pas. Par ailleurs, le récent communiqué de presse du Ministre Courard passe sous silence deux éléments qui accréditent la thèse d’un effet d’annonce électoral. Le budget alloué à la réouverture du Musée et le délai de réalisation ne sont tout simplement pas mentionnés. Comment dans ces conditions croire qu’il se fera quelque chose dans un avenir raisonnable. 750 000 € seront cependant dépensés en études préalables. Sommes colossales au regard de celles dépensées en son temps pour la réalisation du Musée des Instruments de Musique. Il aurait été utile de préciser les domaines couvert par ces « études ».
La nomination d’Eric Gubel à la direction du Cinquantenaire semble être une bonne nouvelle, mais écarte-elle tout risque ? A cet égard, la menace de la fermeture de ce musée pour cause de bâtiment dangereux, qui vient d’être évoquée par le Ministre Courard, n’est pas une fiction. On invoquera des questions de sécurité pour le public et tout le monde acceptera en ouvrant son parapluie. Je l’ai déjà écrit il y a quelques temps.
La sélection des nouveaux directeurs généraux par le Selor est un autre problème récurrent. On se souvient des épisodes précédents durant lesquels des personnalités, dont l’expérience parlait pour elles, sont déclarées inaptes, d’autres compétentes dans un domaine non muséologique néanmoins reconnues aptes ou d’autres encore arrivées miraculeusement ex-aequo. Qui voudra se soumettre à une nouvelle mascarade de ce type ? Cette désignation doit être réalisée parmi des professionnels dont l’expérience parle pour eux, sur la base d’un projet présenté publiquement. Inutile de les soumettre à des tests, des questionnaires et des jeux de rôles, dignes d’un débutant, sans intérêt pour la fonction, dont les résultats seront de toute façon passés au tamis politique.
On le voit, la gestion politique de ce dossier n’est pas à la hauteur des enjeux économiques, culturels, muséologiques et scientifiques. Faute d’une maîtrise certaine de ces questions par la tutelle, la gestion professionnelle est presque naturellement dans la même ligne.
Ce qui précède, ainsi que la liste, non exhaustive, qui suit des « erreurs », pour irréelle qu’elle paraisse, est malheureusement purement factuelle. Il s’agit d’un relevé, difficilement contestable, qui permettra au lecteur de se faire sa propre idée. Il n’est pas besoin de longs commentaires, tout a déjà été dit ou presque :
- Abandon des préconisations du Livre blanc des musées, aussitôt rédigé (en 2002). Elles étaient pourtant présentées comme un ensemble de solutions à toutes les difficultés rencontrées par les musées depuis le début des années 90.
- De nombreuses salles des Beaux-Arts et du Cinquantenaire sont fermées depuis dix ans ou sont à l’abandon.
- La rénovation de ces salles, en projet depuis des lustres, n’a jamais été entreprise.
- Incapacité à terminer le désamiantage des salles fermées depuis 10 ans.
- Collections entières peu ou pas du tout visibles.
- Accrochage souvent incohérent.
- Absence d’informations minimales à destination des visiteurs.
- Muséographie défraîchie, poussiéreuse et démodée dans quatre-vingt, pour cent des cas.
- Nombreuses œuvres sans le moindre éclairage et donc dans la pénombre à la première faiblesse de l’éclairage naturel.
- Mitage de l’art ancien aux Beaux-Arts par l’art contemporain.
- Ces espaces contemporains contrastant par leur éclat et bénéficient curieusement d’un rafraîchissement de la muséographie.
- Plusieurs centaines de milliers d’euros (400 000 € dit-on) ont été consacrés à l’acquisition et l’installation d’une œuvre de Jan Fabre dans un escalier où elle ne trouve pas sa place. Cette somme aurait dû bénéficier au Musée d’art ancien et non à une seule œuvre, contemporaine qui plus est.
- En 2009, 842 tableaux de maîtres anciens conservés dans les réserves ont été endommagés par une hygrométrie trop élevée. Une entreprise extérieure est accusée.
- Fin janvier 2011, les salles du Musée d’Art Moderne ont été fermées sous un tollé de protestations. Plus de 4000 tableaux, 7000 dessins et 1500 sculptures ont disparu de la circulation. Dans quelles conditions sont-elles conservées ?
- En 2012, une prestigieuse exposition « Dalí, Magritte, Miro. Le surréalisme à Paris » a été annulée au dernier moment par mesure d’économie.
- L'exposition Klimt devant célébrer le 150e anniversaire du peintre au Musée royal d'Art et d'Histoire est également tombée à l'eau.
- Le vol de quatre médaillons de vitraux a été révélé en septembre 2013, longtemps après leur disparition du Musée du Cinquantenaire. La sécurité, la gestion des réserves et l’inventaire sont en mis en cause.
- En Octobre 2013, la Tour japonaise et le Pavillon chinois ont été fermés pour cause d’insécurité. S’agit-il réellement d’un manque d’entretien d’un bâtiment ouvert en 1989, après 42 ans de fermeture pour cause de restauration, ou du besoin de transférer des gardiens vers le « Musées fin des Musées » ?
- L’exposition consacrée à Van der Weyden a dû être fermée en novembre 2013, un mois après son ouverture. Des travaux entrepris autour du puits de lumière ont provoqué d’importantes infiltrations d’eau. Une entreprise extérieure est à nouveau accusée. J’ai une pensée pour les deux conservateurs qui ont vu quatre années de travail scientifique (et administratif) saccagé d'une façon qui pouvait parfaitement être évitée. Il suffisait de mettre en place une planification et un suivi sérieux des travaux. C’est également un manque à gagner dont ce musée se serait bien passé. La réputation internationale des musées belges est ternie pour un long moment.
- Le puits de lumière, œuvre de Roger Bastin, devait, sans aucune concertation, être défiguré par une bâche (il existe une forte suspicion de suppression pure et simple).
- Le Musée d’art Moderne, fermé autoritairement depuis trois ans, devrait être réinstallé, en attendant un lieu définitif, dans les anciens magasins « Vanderborght », bâtiment inadapté. Ses promoteurs mettent en avant l’accord de l’Inspection des Finances. Cependant, si j’ai bien compris, elle donne sa bénédiction tant que ce projet ne lui coûte rien. Il n’est donc pas financé et l’on ne peut accepter qu’un service public se défausse entièrement de ses obligations sur le privé.
- Un nouveau lieu sera créé dans un avenir inquantifiable pour loger le véritable Musée d’Art Moderne. Où ? Quand ? Avec quel budget ? Qui voudra à nouveau dépenser des sommes considérables pour défaire ce qui aura été fait avec peine au Vanderborght ?
- Le Musée des instruments de Musique (MIM) sera alors déplacé au Vanderborght, bien qu’il ait parfaitement trouvé sa place dans son bâtiment actuel. Son installation a presque coûté un million d’euros. C’est un merveilleux musée. Pourquoi dépenser à nouveau de l’argent inexistant, pour faire moins bien ailleurs ?
- Point d’orgue : percement d’un sous-terrain reliant le MIM et les Beaux-Arts. Avec quel argent ? Ne serait-il pas mieux employé à rénover les Beaux-Arts et réinstaller le Musée d’Art Moderne ?
- Dans un contexte aussi « difficile », est-il sérieux de faire une telle annonce ? On imagine le coût des fouilles archéologiques préventives qu’il faudrait organiser, cette zone étant d’une grande richesse historique que l’on ne peut négliger.
- Abandon de la numérisation des œuvres d’art, projet mal monté et surdimensionné financièrement.
- Abandon du projet de regroupements des ESF dans quatre pôles. Energie, argent et temps dépensés en pure perte qui auraient pu être consacrés aux manques criants.
- On attend toujours avec intérêt la production d’un projet scientifique, culturel et commercial (ou master plan) pour chacune des institutions, seul garant d’un développement réussi des musées.
- Dernier point, dont les intéressés condamnés au silence, ne peuvent parler, et dont aucun syndicat ne se fait l’écho : le malaise du personnel. Il y a très nettement confusion entre autorité et autoritarisme.Inutile d’ajouter un quelconque commentaire. Les faits parlent pour eux-mêmes.
Ce comportement, cette « gestion » complètement défaillante, conforte le risque de se voir un jour imposer une direction « spécialisée ». L’éventualité de voir arriver des administratifs ou des politiques à recaser, à la tête des institutions scientifiques, n’est pas négligeable. Or nous devons, historiens de l’art, universitaires, conservateurs de musées, ou scientifiques dans les autres disciplines, rester les seuls susceptibles de les diriger, avec au besoin un adjoint administratif.
Un musée est certes devenu une entreprise, mais avec une différence de taille : son « produit » n’est pas multipliable. Chaque œuvre est unique et non remplaçable. Ce « produit » doit donc faire l’objet d’une compréhension particulière et d’une gestion adaptée qui échappe totalement à un technocrate (à lire dans son acception positive). Ceci dit, le profil est rare ; il faut concentrer dans le même individu (h/f) : historien de l’art/conservateur/scientifique, meneur d’hommes, gestionnaire, diplomate, capable de fédérer les équipes autour d’un projet scientifique, culturel et commercial, et enfin suffisamment politique pour négocier avec une chance de mener convenablement le navire à bon port.
En outre, et ce n’est pas le moindre des dangers, le duo en cause est francophone. Il n’est certainement pas très loin le temps où la litanie qui précède fera l’objet de critiques linguistiques, assimilant incompétence et francophone. La comparaison sera aisée avec le Musée de l’Afrique Centrale, géré avec brio, compétence et intelligence, par Guido Gryseels, selon les normes que je défends depuis bientôt deux ans. Elles ont fait leurs preuves partout dans le monde où les musées se sont débarrassés de la torpeur et de la poussière qui les paralysaient. C'est-à-dire tout le contraire de ce que nous voyons avec consternation depuis des années à Bruxelles.Ces institutions étaient des modèles du genre, l'Institut Royal du Patrimoine Artistique est à la pointe de la recherche en histoire de l'Art depuis 1934 (pour combien de temps encore ?). Souvenons-nous de Paul Coremans ou encore de Paul Philippot, tous deux d'un très haut niveau internationalement reconnu, pour ne citer que deux noms. On voudrait démolir tout cela que l'on ne s'y prendrait pas autrement.
Un naufrage qui fait oublier les scientifiques de talents, une recherche de grande qualité, un personnel dévoué à des maisons, autrefois membres des musées de pointe, les magnifiques collections de réputation internationale, les bâtiments merveilleux, tout ce qui fait que l’on est heureux de travailler dans ces institutions, de les visiter et d’y revenir (lire à ce sujet l’excellent article de Guido Gryseels dans La Libre Belgique du 13 février 2014).
Verrons-nous un jour la nomination d’une direction et d’une tutelle compétentes ? Le limogeage tout récent du Directeur du Musée Royal de l’Armée par le Ministre de la Défense permet un espoir de changement, d’autant plus que les faits reprochés sont moins impressionnants que la liste qui précède. En attendant, tous mes vœux de réussite accompagnent Eric Gubel dans la difficile mission qu’il a acceptée.
En tout cas je ne cesse de dire à tout le monde que c'est un magnifique musée !
RépondreSupprimerTout à fait. Je ne cesse de le répéter. Mais dans quel état !
SupprimerUn beau résumé de la problématique ! C'est un si beau musée !
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