mardi 26 novembre 2019

Colloque Une Europe des sciences du patrimoine

Besoin de formation des historiens de l’art & de repenser l’interdisciplinarité



L’Ecole du Louvre accueillait le 23 octobre 2019 la journée consacrée aux « instruments au service du patrimoine » organisée par la branche française de l’E-RHIS (European Resarch Infrastructure for Heritage). La formation, la gestion des données, les instruments in situ, les musées comme lieux de recherche et les grands instruments au service du patrimoine se sont partagé les débats.


ARCHLABbe fluorescence d'ultraviolets - Réflectographie dans l'infrarouge - Lumière directe

Autant d’occasions de faire le point, de découvrir des nouveautés grâce à des communications de grande qualité et des rencontres très intéressantes. Pour ma part, j’attends avec intérêt et impatience la concrétisation du projet HESCIDA (Heritage Science Data Archive, coordonné par Wim Fremout) présenté par Hilde De Clercq, Directrice Générale de l’Institut Royal du Patrimoine Artistique. L’objectif est d’agréger dans une base de données unique toutes celles dispersées dans différentes bases à l’Institut Royal du Patrimoine Artistique (IRPA) et bien au-delà à terme : données brutes, données traitées, articles, rapports scientifiques, photographies, descriptions, etc… Le nouvel ensemble permettra des interrogations croisées à partir d’une seule interface. On imagine les découvertes que ce nouveau type de base va permettre.

Le plus complexe n’est pas à mon avis de comprendre l’apport de nouvelles méthodes d’analyses, mais bien d’appréhender l’architecture des financements européens disponibles (495 millions à ce jour). Les fonds européens sont en effet depuis longtemps une véritable opportunité de développement pour les laboratoires des sciences naturelles et la recherche en Histoire de l’Art et en Archéologie. Le programme IPERION CH a largement fait ses preuves et IPERION HS offre de belles perspectives pour qui saura les saisir.

La table ronde concluant la journée a permis de dégager trois lignes de réflexions (les disciplines, les espaces administratifs et les institutions partenaires) sous la conduite d’Isabelle Pallot-Frossard (Directrice du C2RMF) et d’Etienne Anheim (directeur d’études à EHESS) qui, avec sa finesse habituelle, a dressé un tableau complet et limpide de la situation et des enjeux de la recherche scientifique patrimoniale.

Interdisciplinarité
En réfléchissant à ce qui s’est dit, je voudrais pour ma part revenir sur l’interdisciplinarité et la formation dont il a été question. J’entends parler de « l’interdisciplinarité » depuis mes études à la fin des années 80. En réalité, elle se réduit souvent, malgré une bonne volonté, à la juxtaposition de spécialistes qui ont bien du mal à se comprendre (il y a évidemment de belles exceptions). Parfaitement dans la ligne de la Professeure Stéphanie Rossano (Université Paris-Est Marne-La-Vallée), il me semble que ce mythe ne pourra pas être atteint au prix de la recherche d’un dénominateur commun à nos disciplines de sciences naturelles et humaines. Il faut au contraire conserver notre spécialisation, voire notre hyper spécialisation, seule garante de la qualité à laquelle nous sommes parvenus et de la poursuite de son développement. La solution passe par la formation initiale ou continue des chercheurs au cours de laquelle nous devrions tous suivre un cursus approfondi de « vulgarisation scientifique » et donc apprendre à parler à un public qui n’a aucune formation dans nos domaines. Cet exercice permet aussi d’acquérir un sens de l’attention à la discipline « d’en face » qui, comme l’apprentissage du vélo, ne se perd jamais.



Formation
La formation aux sciences du patrimoine peut être envisagée sous plusieurs angles comme cela a été montré notamment par Claire Barbillion (Directrice de l’Ecole du Louvre) ou par le Pr Jon Yngve Hardeberg (Université norvégienne de sciences et de technologies) et son très dynamique laboratoire qui attire les jeunes chercheurs du monde entier.
Celle des historiens de l’art, des conservateurs de musées et des restaurateurs d’œuvres d’art me parait essentielle dans ce domaine et curieusement peu consistante en France et en Belgique. Les archéologues, les préhistoriens et les scientifiques des sciences naturelles l’ont compris depuis le début des années 80. Ils sont à la pointe de la recherche actuelle. Les deux premiers l’appliquent dans tous les domaines de l’archéologie et les chimistes, physiciens, etc… démontrent un intérêt croissant depuis une quinzaine d’années. L’augmentation du nombre de laboratoires dédié au patrimoine est impressionnante et celui des étudiants souhaitant l’étudier est exponentiel.
Curieusement, les historiens de l’art et les conservateurs de musées, dans leur majorité, ne semblent pas encore avoir compris l’intérêt prodigieux de ces disciplines pour l’étude des œuvres d’art. Leur présence en nombre très réduit lors de ce colloque ou d’autres, et lors des sessions précédentes, est significative à cet égard. Peu nombreux sont capables de lire une radiographie ou une fluorescence d’ultraviolets. C’est moins le cas des restaurateurs, plus sensibles à l’intérêt immédiat pour leur travail et la capacité de l’imagerie et de l’Artchimie à répondre à leur question et à dresser un état de santé complet de l’œuvre. Quelques cours existent et personnellement j’en forme une dizaine par an à Paris depuis 2003 (niveau II).

Universités française et belge
Il est assez significatif que le C2RMF et l’IRPA, émanations du monde muséal (et bien d’autres laboratoires muséaux), soient à la pointe dans ces domaines alors que l’Université française est très en retard. Un étudiant en histoire de l’art qui commence aujourd’hui ne peut trouver nulle part en France une formation complète dans ces matières, sauf s’il se destine à l’archéologie. Il doit aller à l’Ecole du Louvre pour trouver quelques cours ou à l’étranger.
L’Université en Belgique est mieux armée, mais la situation n’est pas consolidée et reste dépendante du départ à la retraite du titulaire du/des cours. Il y a des possibilités à l’Université Libre de Bruxelles, à l’Université de Liège, à celles de Gand et Anvers (je connais moins bien les opportunités dans les universités flamandes). L’Université Catholique de Louvain a pour sa part perdu son avance pionnière depuis plusieurs années. Les cours ne sont plus donnés pour la première fois cette année, la remontée sera lente à moins d’une réelle prise de conscience immédiate.

Formation en archéométrie, historarchéométrie et artchimie
La solution passe par la création de formations complètes comme l’ont fait nos collègues aux Pays-Bas et dans le monde germano-anglo-saxon en général. Elle doit être intégrée dans le tronc commun des formations disponibles en Histoire de l’Art, et non optionnelle pour que tous les étudiants soient formés.
La Technical Art History a dans ces pays plusieurs années d’avance. Ne pas le faire comporte un double risque. Les avancées en histoire de l’art vont toutes avoir lieu loin de la France et de la Belgique et les laboratoires de sciences naturelles  vont être tentés de produire de l’Histoire de l’Art sans les historiens de l’Art.
Enfin, même si les étudiants ne se dirigent pas vers la recherche, ils auront acquis une rigueur et une méthode dans l’approche de l’œuvre d’art qui fait souvent défaut. Un avantage irremplaçable qui à lui seul vaut la peine de l’introduction de l’Archéométrie et de l’Histoarchéométrie dans tous les cursus universitaires.


Pour approfondir


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