Besoin
de formation des historiens de l’art & de repenser l’interdisciplinarité
L’Ecole du Louvre accueillait le 23 octobre 2019 la
journée consacrée aux « instruments au service du patrimoine »
organisée par la branche française de l’E-RHIS (European Resarch Infrastructure
for Heritage). La formation, la gestion des données, les instruments in situ,
les musées comme lieux de recherche et les grands instruments au service du
patrimoine se sont partagé les débats.
ARCHLABbe fluorescence d'ultraviolets - Réflectographie dans l'infrarouge - Lumière directe |
Autant d’occasions de faire le point, de
découvrir des nouveautés grâce à des communications de grande qualité et des
rencontres très intéressantes. Pour ma part, j’attends avec intérêt et
impatience la concrétisation du projet HESCIDA (Heritage Science Data Archive,
coordonné par Wim Fremout) présenté par Hilde De Clercq, Directrice Générale de
l’Institut Royal du Patrimoine Artistique. L’objectif est d’agréger dans une base
de données unique toutes celles dispersées dans différentes bases à l’Institut Royal
du Patrimoine Artistique (IRPA) et bien au-delà à terme : données brutes, données
traitées, articles, rapports scientifiques, photographies, descriptions, etc… Le
nouvel ensemble permettra des interrogations croisées à partir d’une
seule interface. On imagine les découvertes que ce nouveau type de base va
permettre.
Le plus complexe n’est pas à mon avis de
comprendre l’apport de nouvelles méthodes d’analyses, mais bien d’appréhender
l’architecture des financements européens disponibles (495 millions à ce jour).
Les fonds européens sont en effet depuis longtemps une véritable opportunité de
développement pour les laboratoires des sciences naturelles et la recherche en Histoire de l’Art et en
Archéologie. Le programme IPERION CH a largement fait ses preuves et IPERION HS
offre de belles perspectives pour qui saura les saisir.
La table ronde concluant la journée a permis de
dégager trois lignes de réflexions (les disciplines, les espaces administratifs
et les institutions partenaires) sous la conduite d’Isabelle Pallot-Frossard
(Directrice du C2RMF) et d’Etienne Anheim (directeur d’études à EHESS) qui,
avec sa finesse habituelle, a dressé un tableau complet et limpide de la
situation et des enjeux de la recherche scientifique patrimoniale.
Interdisciplinarité
En réfléchissant à ce qui s’est dit, je voudrais
pour ma part revenir sur l’interdisciplinarité et la formation dont il a été
question. J’entends parler de « l’interdisciplinarité » depuis mes
études à la fin des années 80. En réalité, elle se réduit souvent, malgré une
bonne volonté, à la juxtaposition de spécialistes qui ont bien du mal à se
comprendre (il y a évidemment de belles exceptions). Parfaitement dans la ligne
de la Professeure Stéphanie Rossano (Université Paris-Est Marne-La-Vallée), il
me semble que ce mythe ne pourra pas être atteint au prix de la recherche d’un
dénominateur commun à nos disciplines de sciences naturelles et humaines. Il
faut au contraire conserver notre spécialisation, voire notre hyper
spécialisation, seule garante de la qualité à laquelle nous sommes parvenus et
de la poursuite de son développement. La solution passe par la formation
initiale ou continue des chercheurs au cours de laquelle nous devrions tous
suivre un cursus approfondi de « vulgarisation scientifique » et donc
apprendre à parler à un public qui n’a aucune formation dans nos domaines. Cet
exercice permet aussi d’acquérir un sens de l’attention à la discipline
« d’en face » qui, comme l’apprentissage du vélo, ne se perd jamais.
Formation
La formation aux sciences du patrimoine peut être
envisagée sous plusieurs angles comme cela a été montré notamment par Claire
Barbillion (Directrice de l’Ecole du Louvre) ou par le Pr Jon Yngve Hardeberg
(Université norvégienne de sciences et de technologies) et son très dynamique
laboratoire qui attire les jeunes chercheurs du monde entier.
Celle des historiens de l’art, des conservateurs
de musées et des restaurateurs d’œuvres d’art me parait essentielle dans ce
domaine et curieusement peu consistante en France et en Belgique. Les
archéologues, les préhistoriens et les scientifiques des sciences naturelles
l’ont compris depuis le début des années 80. Ils sont à la pointe de la
recherche actuelle. Les deux premiers l’appliquent dans tous les domaines de
l’archéologie et les chimistes, physiciens, etc… démontrent un intérêt
croissant depuis une quinzaine d’années. L’augmentation du nombre de
laboratoires dédié au patrimoine est impressionnante et celui des étudiants
souhaitant l’étudier est exponentiel.
Curieusement, les historiens de l’art et les conservateurs
de musées, dans leur majorité, ne semblent pas encore avoir compris l’intérêt
prodigieux de ces disciplines pour l’étude des œuvres d’art. Leur présence en
nombre très réduit lors de ce colloque ou d’autres, et lors des sessions
précédentes, est significative à cet égard. Peu nombreux sont capables de lire
une radiographie ou une fluorescence d’ultraviolets. C’est moins le cas des
restaurateurs, plus sensibles à l’intérêt immédiat pour leur travail et la
capacité de l’imagerie et de l’Artchimie à répondre à leur question et à
dresser un état de santé complet de l’œuvre. Quelques cours existent et
personnellement j’en forme une dizaine par an à Paris depuis 2003 (niveau II).
Universités
française et belge
Il est assez significatif que le C2RMF et l’IRPA,
émanations du monde muséal (et bien d’autres laboratoires muséaux), soient à la
pointe dans ces domaines alors que l’Université française est très en retard.
Un étudiant en histoire de l’art qui commence aujourd’hui ne peut trouver nulle
part en France une formation complète dans ces matières, sauf s’il se destine à
l’archéologie. Il doit aller à l’Ecole du Louvre pour trouver quelques cours ou
à l’étranger.
L’Université en Belgique est mieux armée, mais la
situation n’est pas consolidée et reste dépendante du départ à la retraite du
titulaire du/des cours. Il y a des possibilités à l’Université Libre de Bruxelles,
à l’Université de Liège, à celles de Gand et Anvers (je connais moins bien les
opportunités dans les universités flamandes). L’Université Catholique de
Louvain a pour sa part perdu son avance pionnière depuis plusieurs années. Les
cours ne sont plus donnés pour la première fois cette année, la remontée sera
lente à moins d’une réelle prise de conscience immédiate.
Formation
en archéométrie, historarchéométrie et artchimie
La solution passe par la création de formations
complètes comme l’ont fait nos collègues aux Pays-Bas et dans le monde germano-anglo-saxon
en général. Elle doit être intégrée dans le tronc commun des formations
disponibles en Histoire de l’Art, et non optionnelle pour que tous les
étudiants soient formés.
La Technical Art History a dans ces pays plusieurs
années d’avance. Ne pas le faire comporte un double risque. Les avancées en
histoire de l’art vont toutes avoir lieu loin de la France et de la Belgique et
les laboratoires de sciences naturelles vont être tentés de produire de l’Histoire de
l’Art sans les historiens de l’Art.
Enfin, même si les étudiants ne se dirigent pas vers
la recherche, ils auront acquis une rigueur et une méthode dans l’approche de
l’œuvre d’art qui fait souvent défaut. Un avantage irremplaçable qui à lui seul
vaut la peine de l’introduction de l’Archéométrie et de l’Histoarchéométrie
dans tous les cursus universitaires.
Pour approfondir
- Fondationdes sciences et du patrimoine
- C2RMF - Centre de recherche et de restauration des musées de France
- Erihs.fr (European research infrastructure for Heritage Science)
- E-RHIS.EU
- IPANEMA-Saclay
- Académiedes Sciences
- CNRS LesSciences du patrimoine en plein renouveau
- CompétencesArchéométriques Interdisciplinaires-Réseau National
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