lundi 9 mars 2020

Imagerie et Histoire de l’Art à l'UCLouvain


Fluorescence d’ultraviolets, Un fumeur de pipe, attribué à Adriaen Brouwer (1605/06-1638), collection particulière.

Le temps commence à produire ses effets, une réalité à deux visages commence à être oubliée : l’UCLouvain a été doublement pionnière en Histoire de l’Art, Archéologie et Musicologie. Le Pr Roger Van Schoute (1930-2017) a créé en 1964/1965 le Laboratoire d’étude des œuvres d’art par les méthodes scientifiques et le Pr Ignace Vandevivere (1938-2004) a créé en 1979 le Musée du Dialogue.
Cet effet bien connu du temps se fait sentir particulièrement auprès des générations qui suivent la mienne. Elles n'ont pas connu ces deux professeurs en activité et plus encore si elles sont éloignées de l’Histoire de l’Art de l’époque Moderne et de la muséologie.
Les quelques lignes qui suivent n’ont d’autre prétention que de revitaliser les souvenirs, en attirant l’attention sur un point de l’historiographie de l’Histoire de l’Art mais aussi, et surtout en surlignant ce qui me semble être un enjeu fondamental pour notre discipline à l’UCLouvain. 

Le Musée du Dialogue a considérablement rénové l’approche d’une œuvre d’art et le sens même du musée. Le Pr Vandevivere remplace l’accrochage traditionnel par époques, écoles, disciplines et artistes. Il lui substitue le « dialogue » entre les œuvres, force le visiteur à observer, comparer, repérer les convergences, les influences, les différences, identifier les matériaux pour les regarder comme un tout porteur de sens et de beauté. La promenade sans but particulier, le rêve, la délectation apparaissent avec cette nouvelle façon d’inviter toutes les générations et tous les milieux à franchir la porte d’un musée. De nombreux musées en Belgique et à l’étranger se sont inspiré de ce qui était une grande nouveauté pionnière en 1979. Le MuséeL a succédé en novembre 2017 au Musée du Dialogue. Il a, sous la direction et l’impulsion de sa directrice Anne Querinjean, une fois encore renouvelé l’approche muséale, comme nous le verrons dans quelques instants.

Un constat
Parallèlement, le Laboratoire d’étude des œuvres d’art par les méthodes scientifique, devenu LABART, s’éteint doucement, comme il a vécu ces dernières années, sans faire de bruit. Jacqueline Couvert, sa dernière responsable scientifique, a pris sa retraite en janvier 2019, la Pre Hélène Verougstraete, dernière académique en titre, est partie vers les mêmes horizons voici plusieurs années, sans qu’elle soit remplacée, et le Pr Roger Van Schoute, son fondateur est décédé en 2017.
Quelques espoirs de continuation de l’activité se sont à présent clairement évanouis, achevés par la suspension sine die, voire ad vitam aeternam de l’ensemble des cours habituellement associés. C’est pourquoi il me semble utile de plaider la cause non seulement du maintien en activité du de cujus, mais surtout de sa résurrection sous une autre forme. Il faut également soutenir l’Histoire de l’Art scientifique dont l’UCLouvain fut une pionnière et un fer de lance jusqu’à l’éméritat du Pr Van Schoute en 1995.

Pourquoi cette lente agonie ? Oubli du rôle joué par le LABART ? Méconnaissance de la discipline ? Ignorance de l’essor de la Technical Art History et de la Science du patrimoine, constatée partout dans le monde ? Coût de l’opération ? Noyade dans les possibilités de financement des équipements disponibles, via les crédits européens (www.e-rhis.eu) ou ceux du FNRS ? Enjeux locaux immédiats ? Un peu de tout cela probablement. Inutile cependant de se lamenter et de chercher un ou une responsable ou bouc-émissaire. Il est nettement plus utile de regarder l’avenir.

Une conviction forte
Ma conviction profonde est qu’une structure comme le LABART a toujours une raison d’être à l’UCLouvain. Il faut « simplement » le repenser sous une autre forme. Cela a été magnifiquement fait pour le MuséeL. Il change la façon d’aller au musée, permet à un public qui en est éloigné, ainsi que de l’université, de s’y reconnaître, de traverser le labyrinthe des parkings, puis de franchir la porte du MuséeL. Deux obstacles que 30 000 personnes ont franchis en 2018. C’est un niveau de fréquentation jamais atteint, même au temps de la splendeur du Musée du Dialogue fondé en 1979 par le regretté Pr Ignace Vandevivere. La réussite est tellement forte que le musée passe en catégorie A et que sa Directrice, Anne Querinjean a été désignée leader BéWé 2019.
Trouver une façon aussi puissante de penser le renouvellement du LABART et la mettre en place de façon aussi magistrale n'est donc pas impossible.

L’avenir plonge ses racines dans le passé
Tout chercheur étudiant l’Histoire sous ses diverses formes ne doute pas de cette évidence. Il en est de même dans le cas présent. L’avenir du nouveau laboratoire me paraît intimement lié au passé et à la pointe de la recherche où le LABART fut. Il a été créé par le Pr Van Schoute dans le sillage de l’Université d’Oxford et de la création en 1958 de l’Archéométrie par le Pr C. Hawkes[1]. Le LABART a été un pionnier universitaire en Belgique dans l’approche scientifique des œuvres d’art. Il a ouvert la route à des structures similaires des deux côtés de la frontière linguistique et notamment à Anvers, Gand, l’ULB et à l’ULg. Ces laboratoires d’Histoarchéométrie, d’Archéométrie ou de Science du patrimoine sont reconnus aujourd’hui comme d’excellents lieux de recherche et d’enseignement.
Le LABART a également été à l’origine de la naissance, en 1975, du colloque international pour l’étude du dessin sous-jacent qui a survécu à l’éméritat, puis au décès, de son co-fondateur. Il est aujourd’hui le point de rencontre de tous les spécialistes universitaires et muséaux de la Réflectographie dans l’infrarouge inventée par Pr Van Asperen de Boer, qui y a consacré son doctorat soutenu en 1970 à l’Université d’Amsterdam.

Une voie sans issue
L’expertise à laquelle le LABART s’est un moment essayé est pour l’instant une voie sans issue. C’est un domaine très judiciarisable et quelques spécialistes ne peuvent réunir sans risques les compétences nécessaires pour tout le champ de l’Histoire de l’Art. L’expertise du marché de l’art doit encore changer son mode opératoire avant de pouvoir s’engager à nouveau dans ce domaine.
C'est pourquoi l’avenir de ce nouveau « laboratoire d’Histoarchéométrie » me semble idéalement devoir combiner de la recherche, de l’enseignement, une fonction muséale d’appui et un service à la société.

Imagerie
Pour y parvenir, ce nouveau laboratoire devrait se concentrer sur l’imagerie de l’objet d’art, et de la peinture en particulier, en devenant un centre de référence. A l’instar d’un service de CHU, il produirait ainsi, dans les domaines bien maîtrisés à l’UCLouvain depuis de longues années, des documents, et leurs compte-rendus, qui pourront être utilisés par les spécialistes des artistes concernés :
-          La photographie et la photogrammétrie,
-          La fluorescence d’ultraviolets,
-          La réflectographie dans l’infrarouge,
-          La radiographie (avec les radiologues UCLouvain),
-          La microscopie de surface,
-          La spectrométrie de fluorescence X (avec les chimistes UCLouvain).
Le public potentiel existe et est demandeur : étudiants, chercheurs, musées, autres universités, restaurateurs d’œuvres d’art, collectionneurs, visiteurs et marché de l’art.

Une équipe
Il faut pour y parvenir une équipe de recherche constituées d’académiques, de jeunes scientifiques et certainement un ou une administrative.
Ce « laboratoire d’histoarchéométrie » doit être autonome, rattaché à INCAL, ou tout autre entité, mais assurément ne pas être un service placé sous l’autorité hiérarchique immédiate d’un musée, fut-il aussi merveilleux que le MuséeL. La dépendance hiérarchique entre un musée et un laboratoire de ce type est rarement un vecteur d’efficacité. Cela n’empêchera pas les deux structures de coopérer dans le cadre des axes auxquels j’ai fait référence.

Formation en Histoire de l’Art et Archéologie
La formation des historiens de l’art, des archéologues et des musicologues est essentielle dans le domaine de l’approche scientifique de l’œuvre ou de l’objet et ne peut disparaître. Les archéologues, les préhistoriens et les scientifiques des sciences naturelles l’ont compris depuis le début des années 80. Ils sont à la pointe de l’enseignement et de la recherche actuelle. Les deux premiers l’appliquent dans tous les domaines de l’archéologie et de la préhistoire. Les découvertes et les avancées scientifiques sont tellement nombreuses que les chimistes, physiciens, etc… démontrent un intérêt croissant depuis une quinzaine d’années. Or, l’UCLouvain a perdu son avance pionnière depuis plusieurs années et les cours ne sont plus donnés pour la première fois en 2019-2020. La remontée sera lente sans une réelle prise de conscience immédiate. La Technical Art History[2] tout autour de l’UCLouvain a plusieurs années d’avance. Laisser disparaître les cours, le LABART, sans créer une nouvelle « unité de recherche et d’enseignement » comporte un double risque. Les avancées en Histoire de l’Art vont toutes se faire sans l’UCLouvain et les laboratoires de sciences naturelles vont être tentés de produire de l’Histoire de l’Art sans les historiens de l’Art, comme cela a failli être le cas dans les années 80.
La manière d’étudier une œuvre d’art changeait beaucoup dans les années 1950 sous l’impulsion des Etats-Unis et de l’Angleterre. Nous en sommes aujourd’hui à un stade similaire.

Enfin, même si les étudiants ne se dirigent pas vers la recherche, ils auront acquis une rigueur et une méthode dans l’approche de l’œuvre d’art et de l’objet qui fait souvent défaut à notre discipline. Un avantage irremplaçable qui, à lui seul, vaut la peine de la création d’un « laboratoire d’Histoarchéométrie » (même de petite taille) et du maintien des cours associés.




[1] D. W. Harding, Charles Francis Christopher Hawkes, dans Proceedings of The British Academy, Londres, 1994, p. 331 – www.arch.ox.ac.uk/history.html (site du Research Laboratory for Archaeology and History of Art) – Albert Hesse, Call it Archaeometry, dans Contribution à l’Histoire de l’Iran. Mélanges offerts à Jean Perrot, textes réunis par François Vallat, vol. 1, Paris, 1990, p. 317-319.
[2] Ce que j’appelle l’Histoarchéométrie en français depuis 2012, à l’instar de Jacqueline Olin qui formalise l’Archéométrie en 1982 (J. S. Olin, Future directions in Archeometry, A round table. Discussion held in conjunction with the 21st Archaeometry Symposium held at Brookhaven National Laboratory, May 18-22, 1981, Washington DC. Smithsonian Institution, 1982, p. 19).

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