dimanche 20 octobre 2013

Si on fait les pôles, on fonce dans le mur !


La Libre Belgique ouvrait une nouvelle fois ses pages le 14 octobre dernier à Michel Draguet, Directeur général des Beaux-Arts et du Cinquantenaire. Il a martelé comme toujours ses convictions en matière de « muséolandifiction » des musées  fédéraux :  «si on ne fait  rien (ndlr : les pôles),  on fonce dans le mur !». Elles démontrent une fois encore combien sa conception de la direction d’un musée est éloignée de tout ce qui fait leur succès partout où leur gestion a été rénovée par des professionnels, bons gestionnaires, bons connaisseurs de leurs collections, du sens profond de ces institutions et de leurs missions.
Il est peut-être utile de préciser que je ne « m’attaque » pas à l’homme dont je ne connais que l’image qu’il donne de lui-même dans les médias. Cela n’aurait aucun sens. Je le respecte. Ce sont les idées qu’il soutient qui m’intéressent. Rien d’autre ne motive la défense de ce que je crois être les intérêts des musées fédéraux, de l’Institut Royal du Patrimoine Artistique et de leur personnel (auquel le silence a été imposé, rappelons-le).

Les quelques contre-vérités ou approximations, à nouveaux défendues dans cette interview, me semblent devoir être une fois de plus soulignées. La première est que l’entretien est essentiellement focalisé sur le Musée d’Art Moderne/Contemporain, n’insistant pas assez sur le mauvais état des salles ainsi que des collections des Musées des Beaux-Arts et du Cinquantenaire, ni sur l’avenir de ces institutions (voir mes différents articles à ce sujet).

Tout ce qui est avancé dans cette interview n’est qu’un rideau de fumée destiné à masquer la réalité de ce qui est déjà à l’œuvre : le démantèlement des musées, de leurs collections et du personnel, pour créer des « entités muséales » (cette expression a été utilisée) composées des œuvres jugées les plus « rentables » pour attirer les visiteurs, sans autres préoccupations que financières. Ces « muséoLands » ou « DraguetLands » n’ont pour seules fonctions que de générer du cash. Différents exemples existent déjà ou sont en préparation : le Musée Magritte (dont on aimerait connaître le chiffre annuel des entrées payantes et non un vague chiffre cumulatif), le futur «Musée fin de tout » ou encore cette curieuse opération touristique de dynamisation de quartier (la maison de la rue Haute où cinq des plus fameux Bruegel des Beaux-Arts vont achever leur impressionnante carrière, si l'on comprend bien le projet).

Que deviennent dans cette optique les collections jugées arbitrairement «sans intérêt» ? Seront-elles mises en caisses comme le musée d’art moderne ? Dormiront-elles pour l’éternité en réserves comme quantités d’œuvres du Musée des Beaux-Arts ? Finiront-elles sous le marteau d’un commissaire-priseur ? Enfin que devient l’idée même de Musée, ses objectifs et son sens profond, tels que définit à Vienne en 2007 par la 21e conférence de l’ICOM (International Council of Museums) ?

Le besoin de faire des économies est évident, celui de mutualiser des fonctions aussi. Cependant sans les investissements de fond attendus depuis plus de 10 ans, rien ne se fera dans aucun domaine. Le défunt «Livre blanc des musées» en est la démonstration. Ajoutons à cela qu’une absence aussi longue d’investissements dans la maintenance des bâtiments, la recherche, la conservation, les acquisitions, la médiation et la communication constitue un passif qui alourdit encore les besoins financiers. Des synergies, une gestion contemporaine par des professionnels de musées, une identification claire des institutions et un projet scientifique, culturel et commercial constituent la seule façon de sauver les musées. Le Musée de l’Afrique Centrale à Tervuren et toutes les institutions modernisées entourant la Belgique en sont la démonstration claire et évidente.

Il y aurait trop de directeurs par établissements et de nombreuses fonctions vacantes ? Faut-il pour autant se jeter dans un projet aussi hasardeux et dépourvu de sens muséal ? Une réorganisation des fonctions et de l’organigramme est la solution la plus simple, la moins coûteuse et la plus porteuse d’espoir de réussite. Cela n’a rien d’extraordinaire, ni d’irréaliste. L’un des grands musées du monde y travaille en ce moment. Ajoutons une mutualisation de certaines fonctions communes aux trois établissements, ainsi que l’engagement, tant attendu de la part de la tutelle, de remplir le cadre vacant complèterait de manière efficace cette nouvelle organisation de façon réaliste, contrairement aux pôles. Répétons le, «Magritte» et le «Musée fin de siècle» ne sont pas des étapes du redéploiement, mais du démantèlement.

Par ailleurs, comment le « redéploiement » peut-il être en cours, comme cela est affirmé dans cet article, alors que l’ensemble du projet n’a pas été validé par le Gouvernement ?
Dans le même ordre d’idée, comment peut-on travailler à «faire un vrai musée de l’Antiquité en lien avec les autorités européennes toutes proches» ou «s’occuper du fond du projet» Vanderborght, dont les premières expositions «sont déjà en cours de préparation»… ?!? Il n’y a, rappelons le, aucun accord gouvernemental sur la question.
Serait-ce un nouvel effet de la technique du «puzzle accompli» et de l’absence d’intérêt manifesté par tous les gouvernements successifs depuis une bonne quinzaine d’années ? Il ne semble pas y avoir de pilote dans l’avion gouvernemental. Inquiétant ! Oserait-on traiter ainsi l’organisation de la police, des hôpitaux, de la Justice ou des prisons ?

Il semblerait que le résultat de la consultation des comités scientifiques des dix établissements scientifiques fédéraux (ESF) concernés soit moins «enthousiaste» que décrit dans les deux musées que dirige M. Draguet. A ce jour, selon mes informations (qui complètent celles parues dans La Libre du 19/10), sept d’entre-eux se sont prononcés contre les pôles. Seul l’Institut Royal Météorologique devrait encore manifester son opinion.

Contrairement à ce qui est affirmé dans l’article par une petite touche catastrophiste, je suis convaincu, et je ne suis pas le seul, que l’on «fonce dans le mur» si l’on fait les pôles. Muséologiquement, cela ne tient pas et politiquement ce n’est pas prêt. Le réalisme semble enfin timidement poindre de ce côté. Par ailleurs, on n’improvise pas un tel bouleversement à six mois d’élections, quel que soit le pays et particulièrement en Belgique... Il ne faut pas être politologue pour comprendre que la traduction légale, réglementaire, administrative et financière de cette réforme va demander des efforts importants pour venir à bout de la complexité d’un projet qui n’a de sens que dans l’esprit de leurs concepteurs et qui bouleverse les dix ESF.

Enfin, l’article termine sur une note étrange et une bonne nouvelle pour les œuvres. On comprend que l’une des raisons de la fermeture sine die du Musée d’Art Moderne repose sur les doutes du Directeur à propos du «concept d’un musée d’art contemporain». Le lecteur est brutalement plongé dans la perplexité la plus profonde. Rappelons que le même affirmé à une autre occasion que l'art moderne n’aurait jamais existé en Belgique (voir Museum Life et ce blog). Le MoMa de New York, le Centre Pompidou à Paris, le Guggenheim (New York ou Bilbao), le Pompidou-Metz, la Tate Modern londonienne, le Musée d’Art Moderne de la Ville de Paris, le Wiels, le Musée d’art moderne et contemporain de Strasbourg, le Fonds National d’Art Contemporain (FNAC, Paris) ou les Fonds régionaux d’art contemporains (pour ne citer que quelques institutions) seraient-ils tous dans l’erreur ?
Heureusement, on reprend souffle en apprenant que le projet d’un nouveau musée « modernocontemporain » (que faut-il dire à présent ?) à construire au-dessus des tunnels du Cinquantenaire (avec quels budgets ?) est abandonné. C’est la seule véritable excellente nouvelle depuis des années dans ce dossier. C’était en effet un non sens, il aurait défiguré ce magnifique parc qui a déjà trop souffert. Mais il aurait surtout mis en danger les œuvres elles-mêmes par la présence au même endroit de trois des menaces les plus sévères pour les œuvres, bien connues des étudiants en muséologie ou en conservation préventive : les vibrations, la pollution et le risque d’incendie. Toutes ces menaces sont certes présentes partout, ensemble ou séparément, à des degrés divers, mais nous composons aujourd’hui avec l’histoire de bâtiments existants. Il est inutile de créer de nouveaux problèmes qui coûteront une fortune pour n’être jamais résolus de façon satisfaisante.

Deux dernières questions : quand nommera-t-on les directeurs généraux des ESF sur la base d’un projet et de compétences et non après une sélection dont on vu ce qu’il fallait en penser ?
Les partisans d'une gestion muséale ayant fait ses preuves dans le monde entier auront-ils un jour accès aux médias nationaux (10 000 pages vues sur ce blog) ?

Rappelons, puisqu’il le faut, cette belle et complète définition : Un musée est une institution permanente sans but lucratif au service de la société et de son développement, ouverte au public, qui acquiert, conserve, étudie, expose et transmet le patrimoine matériel et immatériel de l’humanité et de son environnement à des fins d'études, d'éducation et de délectation (statuts de l’ICOM adoptés à Vienne en 2007 par la 21e conférence générale).

Une chose est certaine : si on fait les pôles, cette merveilleuse définition ne sera plus qu’un souvenir.

Si on fait les pôles on fonce dans le mur ! 



A lire sur le même sujet :
- Un article paru le 10 octobre dans La Tribune de l'Art (Denis Coekelberghs) 

1 commentaire:

  1. Merci pour ces articles "défenseurs" de nos musés de Bruxelles. Je suis sidérée...à quoi sert notre gouvernement s'il laisse faire toutes ces âneries dans ce domaine aussi ??? En fait, et c'est malheureux de le dire, mais aucun de nos gouvernants francophones ne sont intéressés particulièrement à ces musées prestigieux connus dans le monde entier ! Travaillant à la Diathèque du Musée du Cinquantnaire, pour y aider la directrice, Mme Lisel Anten, pendant 4 mois, (juste avant sa prise de pension), j'ai eu le plaisir et l'honneur de guider, en son absence, dans ce service, une de ses "collègues" Russe qui voulait créer un service identique dans un musée à Moscou... C'est dire la renommée de cette Diathèque des MRAH démentelée vers la cave muséale et donc fermée par la dernière conservatrice en 2004 ou 2005, à l'immense déception des enseignants, des élèves et des nombreux donnateurs.... Nous avons alerté, en vain, le ministère concerné et la presse francophone !!! C'était le début de ce qui a suivi....
    Henrianne van Zurpele

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