mardi 24 juillet 2012

Plaidoyer en faveur des musées fédéraux belges

Denis Cokelberghs, excellent historien belge de l’art, vient de publier sur le site de la Tribune de l’Art un très pertinent « Plaidoyer en faveur des collections de sculpture baroque et néo-classique des Musées royaux des Beaux-Arts de Bruxelles ». Il élargit le sujet avec beaucoup d’à propos à la « gestion » des Musées Royaux des Beaux-Arts de Belgique et plus largement encore aux menaces sur l’avenir des musées fédéraux belges.



Puisse-t-il être entendu rapidement ! Il y a malheureusement peu d’espoir tant que l’on confondra musées et industrie touristique, œuvres et produits commerciaux, professionnels et technocrates convaincus par cette curieuse compréhension des missions et du fonctionnement des musées. Reconnaissons à leur décharge que cette mode n’est malheureusement pas uniquement belge et fait des dégâts dans bien des musées du monde. Il est instructif de se souvenir de deux critiques de la mode, faites dans la première moitié du XVIIIe siècle. Comme souvent en matière d’écrits du passé, elles conservent toute leur actualité et devraient faire réfléchir sur la pertinence des certitudes actuelles. Un auteur anonyme écrit en mai 1726, dans le Mercure de France, sur un ton très ironique : On sait depuis longtemps que c’est une nécessité d’être à la mode et qu’on ne peut s’en dispenser sans passer pour ridicule. Le Président de Brosses lui fait écho en 1739, lors de son séjour à Venise : J’ai trouvé à mon grand étonnement, qu’il [Vivaldi] n’est pas aussi estimé qu’il le mérite en ce pays-ci, où tout est de mode, où l’on entend ses ouvrages depuis trop longtemps et où la musique de l’année précédente n’est plus de recette. Ce grand connaisseur rappelle ainsi que ce que nous rejetons aujourd’hui sera à la mode dans peu de temps, voire porté au pinacle. Les exemples sont légion en matière d’art. Humilité et prudence sont toujours de mise, comme dans bien des domaines.

C’est une conviction personnelle que l’avenir des musées en général, et belges en particulier, s’éclaircira lorsque conservateurs, universitaires et historiens de l’art seront parvenus à faire comprendre qu’un musée se gère aujourd’hui comme une entreprise, sans être une entreprise, et que le véritable défi est là. Les gains de productivité, les économies, une vision contemporaine de l’organisation structurelle sont réellement possibles et gages d’une saine gestion des musées, tout en mettant les œuvres et l’ensemble du personnel au cœur du projet scientifique, culturel et de valorisation des collections (le business plan cher à d’autres sphères). Encore ne faut-il pas tout confondre, comme on l’observe de plus en plus souvent, et tout sacrifier au dieu rentabilité. La  « rentabilité » d’un musée ne se mesure pas uniquement, dans l’institution même, « en retour sur l’investissement » consenti. Elle est en effet bien sensible dans les entreprises que les musées font vivre directement ou indirectement et notamment sur l’emploi de l’industrie touristico-culturelle.
En outre, toutes les villes qui ont réussi la modernisation de leurs musées ont connu un développement parallèle du tourisme et par conséquence immédiate de l’ensemble de l’économie locale et parfois régionale (Berlin, Bilbao, Nantes, pour ne citer que trois villes). Sans oublier les « retours » bénéfiques en termes d’image de ville dynamique. Par ailleurs, une étude française, publiée voici quelques années, a démontré qu’en France, un emploi public générait quinze emplois privés. Pourquoi ne serait-ce pas à peu près la même chose en Belgique ?

Enfin, la rentabilité la moins mesurable, mais certainement aussi porteuse est ailleurs. Comment en effet rendre compte de l’impact de l’art, de la culture en général, sur le développement personnel ? Chacun sait qu’il est immense en termes d’éveil au beau, à la sensibilité, de compréhension de soi, de libération d'émotions (souvent créatrices), de stimulation sensorielle et cérébrale, de recherche spirituelle et intellectuelle, d’ouverture d’esprit. Bref de tout ce qui fait qu’un être humain se développe harmonieusement, cherche à se dépasser, crée les conditions d’une vie en société toujours plus harmonieuse, moins violente, moins matérialiste, moins individualiste ; fait rayonner sa famille, son entreprise, sa ville, son pays. Utopie ? Recherchez les exemples autours de vous ou dans l’histoire et vous en viendrez à la même conclusion.

Il ne faut pas hésiter à franchir un pas dans cette réflexion, qui devrait rassurer les plus matérialistes, en affirmant qu’un touriste bien accueilli conserve un souvenir fort, souvent indélébile, de son court séjour. Cette qualité recherchée à toutes les étapes de son voyage le fera invariablement revenir vers son pays d’accueil, lorsqu’il souhaitera développer un projet scientifique, commercial, industriel ou touristique. C’est un ressort bien connu dans la diplomatie, particulièrement en France, dont le patrimoine est le premier instrument de la présence française à l’étranger. Il s’agit là d’un autre vecteur de développement politique et économique, pour le patrimoine culturel, très souvent oublié, sous-estimé, voire raillé.

La Belgique dispose d’atouts majeurs en matière de patrimoine, les musées fédéraux en particulier. Leur survie est au prix de la compréhension de ce qui précède. Ne les sacrifions pas au nom de phénomènes de mode, de questions politiques ou linguistiques que personne ne comprend au-delà des frontières (quelqu’un les comprend-il réellement à Bruxelles intramuros ?), mais dont tous les autres concurrents profitent pour se développer et croître tranquillement. Le monde des musées est en effet formidablement concurrentiel et l’inertie belge est une aubaine pour bien des musées étrangers.

Ce n’est pas un musée universel, ni un méga musée qu’il faut faire en réunissant autant d’institutions bruxelloises sous une même et unique direction qui relève davantage du rêve que de la réalité. La rationalisation annoncée ne sera jamais atteinte de cette façon. Les projets que l’on a pu lire dans la presse ou sur internet font davantage penser au phénomène de mode et donc au sacrifice d’une partie des collections, missions et recherches. Il faudra au mieux dix ans pour y parvenir d’une façon incertaine, à condition d’obtenir les moyens financiers dès le budget 2013, tant les cultures, les moyens et les motivations sont différents. Son caractère multi-sites ne favorise pas davantage un développement harmonieux, ni une marque aisément identifiable. En outre, l’appareil technico-administratif entrera, à mesure de son développement, inévitablement en conflit avec le sens même du musée, sera l’occasion de multiples freins et de nouvelles dissensions. C’est au contraire en restaurant la capacité d’action des musées existants, en créant un réseau efficace, en trouvant toutes les synergies utiles entre eux que l’on pourra retrouver la visibilité internationale des collections (totalement perdue) et valoriser la compétence du personnel qui se dévoue à sa conservation. En outre, plus on attend, plus la pente sera longue à remonter aussi bien du point de vue muséal, scientifique que touristique. Il y a urgence, là également.
Il reste à trouver les directeurs capables d’insuffler le souffle nécessaire, ce qui ne devrait pas être impossible si l’on range les questions politiques, individuelles et autres errements. Mais il est plus que temps de les nommer ; certains sont à la retraite depuis des années et leur remplaçant ad interim également !

La seule voie est de « faire avec » l’existant, pour reprendre une expression bien belge, en termes de budget, de personnel et de bâtiments. Les moyens financiers seront toujours attendus (pensons simplement au Livre blanc mort-né en 2002), les questions politico-linguistiques toujours plus présentes parmi un personnel politique peu attiré par les enjeux culturels. Inutile donc de rêver à la construction ex nihilo d’un nouveau musée d’art contemporain avant que les musées existants aient les moyens de vivre et de retrouver leur place internationale perdue. Corollaire immédiat, il faut que l’aile contemporaine des Musées Royaux des Beaux-Arts de Bruxelles rouvre ses portes sans délai et que cette malencontreuse prise d’otages cesse. Elle passe à l’étranger pour une maladroite manœuvre politique. Bruxelles, capitale du Royaume et de l’Europe, ne peut rester plus longtemps sans un musée d’art contemporain.

Un musée n’existe pas sans œuvres ; les œuvres sans personnel scientifique, technique et administratif compétent ; le public sans un véritable projet scientifique et culturel. Un musée n’existe pas si son projet est bâti sur un effet de mode, même si la structure administrative et technique est la plus performante que l’on puisse rêver. C’est dans ce domaine un axiome aussi solidement démontré que celui d’Euclide.

Les musées ne sont pas un luxe, ils sont de première nécessité, pourrait-on dire en paraphrasant la belle formule d’Edgar Degas à propos de la culture. Ils sont les racines de nos vies et comme chacun sait : pas d’arbres sans racines, ni de sociétés équilibrées sans culture, ni musées.





Mots clés :
Cinquantenaire, Gestion muséale, IRPA, Musée d'Art Moderne, Musées fédéraux belges, Musées Royaux d'Art et d'Histoire, Musées Royaux des Beau-Arts, Rentabilité des musées, Muséologie.

1 commentaire:

  1. Notre sortie de crise viendra de l'Art, de l'innovation. Notre trésors dorment dans les caves faute d'entrepreneurs pour les mettrent en valeur. Ce débat est récurrent alors que le "retour sur investissement" est de loin le meilleur. Nos grandes fortunes de tout les temps l'ont toujours compris et nos politiques de temps en temps. Mais courage la lumière viendra.
    Albert de Hareng

    RépondreSupprimer