mardi 17 juillet 2018

Figures et figure de Corot


Episode 1
L’exposition consacrée aux « Figures » peintes par Corot est prolongée jusqu’au 22 juillet au Musée Marmottan à Paris. Elle sera également présentée à la National Gallery de Washington à partir du 9 septembre, sous la conduite cette fois de Mary Morton, conservatrice et chef du Département des peintures françaises.
Cette très belle expo montre, comme nous l’avions fait en 1996 au


Grand Palais[1], lors de la rétrospective de 1996, que le talent de Corot n’est pas limité aux paysages et aux études italiennes. C’est vraiment le grand intérêt de cette nouvelle réunion  d'oeuvres que de rafraîchir la mémoire oublieuse. Le public ne s’y trompe pas puisque les amateurs sont nombreux à rendre visite à Corot.

Les « Figures » constituent une part importante de l’œuvre de Corot à partir des années 1850. Elles sont peu appréciées du public contemporain, mais recherchées par les collectionneurs et les marchands du vivant même de Corot. Il a fallu attendre 1909[2] pour que les amateurs les découvrent, et 1962[3] pour qu’une grande exposition soit consacrée à ce sujet. A l’exception des cinq dernières années de sa vie, Corot pouvait poursuivre avec les figures ses recherches picturales comme bon lui semblait, sans être bousculé par une commande ou une attente particulière.

Quelles pouvaient bien être ses motivations ? Sa correspondance, n’est pas très informative à ce sujet. Elle est d’ordre plutôt général, amical, très rarement technique ou pictural. Je n’ai jamais trouvé, parmi les quelques trois cents lettres connues, aucune explications de fond qui puisse répondre à cette question. Les témoignages de première main ne répondent pas mieux à cette question : aucun discours philosophique, technique ou politique. Il parle très peu de sa pratique quotidienne[4], et une seule fois, en 1873, il se laisse aller à un commentaire qui ôte tout espoir d’associer un jour Corot à une grande théorie sociologique ou philosophique[5]

C’est peut-être la cause de l’absence d’intérêt pour l’artiste parmi les chercheurs, alors que le public apprécie l’œuvre aujourd’hui tout comme au XIXe siècle. Il est en effet impossible de formuler de grandes théories littéraires, philosophique ou sociologique, avec Corot comme une certaine Histoire de l’Art les aime. Il faut partir nécessairement des œuvres, du contexte, de l’entourage et de l’homme lui-même. C’est long, fastidieux et ne permet pas de grands discours brillants. 

Ce que l’on appelle un peu rapidement « les faux Corot » et les erreurs d’attributions son certainement le second frein. Cela ne peut cependant pas tout expliquer, bien des artistes connus et très appréciés, sont entourés d’autant d’œuvres douteuses. Cette qualification me paraît plus appropriée à la typologie des casseroles accrochées aux basques de Corot[6]

En déambulant parmi les cimaises de l’exposition de Marmottan, il m’a semblé intéressant de m’attarder à la « figure » de Corot et de lui donner la parole par quelques extraits significatifs de sa correspondance et de quelques propos rapportés qui expriment, une fois assemblés, une part de l’homme et du peintre.
Le sujet n’est pas tout à fait nouveau, ses citations ont beaucoup été employées. Un petit carnet, dans une jolie collection, publié récemment, en rapporte quelques-unes. 

La nouveauté de ce qui suit réside dans la parole donnée à Corot, sans commentaires, de façon sélective et non exhaustive. Elle permet à chacun d’approcher l’homme et l’artiste à la manière d’une interview sans questions auxquelles il n’aurait pas échappé s’il était encore de ce monde. L’année mentionnée indique le moment où le propos a été tenu, les habituelles références infrapaginales sont volontairement omises et les intertitres permettent de situer le sujet à la façon d’un documentaire dans lequel l’intéressé répond à une question que le spectateur n’entend pas.

Enfance 1871
J'ai été au collège de Rouen jusqu'à dix-huit ans. De là, j'ai passé huit ans dans le commerce … une espèce de rhétorique. 

Le mariage 1825

Je n'ai qu'un but dans la vie, que je veux poursuivre avec constance : c'est de faire des paysages. Cette ferme résolution m'empêchera de m'attacher sérieusement. Je veux dire en mariage. 

1827 (mars)

Tu me demandes des nouvelles des romaines. Ce sont toujours les plus belles femmes du monde que je connais. J'en possède de temps en temps ; mais cela coûte [...] Moi, comme peintre, j'aime mieux l'Italienne ; mais pour faire le sentiment, je préfère la Française. 

1827 (novembre)

Je commence à m'apercevoir que l'absence a de terribles inconvénients. 

à suivre...



[1] M. Pantazzi, V. Pomarède assisté de G. de Wallens, G. Tinterow assisté de A. M. P. Norton, Corot (1796-1875), Paris, Galeries Nationales du Grand Palais, Ottawa, Musée des Beaux-Arts du Canada, New York, The Metropolitan Museum of Art, Paris, 1996.
[2] A. Braut, Exposition rétrospective de Figures de Corot, dans  Catalogue des ouvrages de peinture, sculpture, dessin, gravure, architecture et art décoratif exposés au Grand Palais des Champs-Elysées, 1er octobre - 8 novembre 1909 (Société du Salon d’Automne), Paris, 1909, p. 215-216.
[3] G. Bazin, S. Béguin, M. Dreyfus-Bruhl, M.-T. Lemoyne de Forges,  Figures de Corot, Musée du Louvre, Juin-Septembre 1962, Paris, 1962.
[4] G. de Wallens, Corot as a copyst at the Louvre, and new evidence on his technique, dans The Burlington Magazine, Londres, novembre 2001, p. 685-686.
[5] G. Wallens, Corot expliqué par Corot ou comment convertir au bien par la peinture, dans La Revue des Archéologues, Historiens de l'Art et Musicologues de l'Université de Louvain, t. I, Louvain-La-Neuve, 2004, p. 132-136.
[6] G. de Wallens, Les faux Corot. Mythe ou réalité ? Un urgent besoin de catalogue scientifique, dans Corot dans la lumière du Nord, Douai, 5 octobre 2013 - 6 janvier 2014, Carcassonne, Musée des Beaux-Arts 21 février - 21 mai 2014, Douai, 2013, p. 264-275.

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